Il fallut d'abord déblayer le terrain des fragments de roc qui l'encombraient; puis une fosse fut creusée assez profondément pour que les animaux féroces ne pussent déterrer le cadavre.
Le corps du martyr y fut déposé avec respect.
La terre retomba sur ces dépouilles mortelles, et au-dessus de gros fragments de roches furent disposés comme un tombeau.
Le docteur cependant demeurait immobile et perdu dans ses réflexions. Il n'entendait pas l'appel de ses compagnons, il ne revenait pas avec eux chercher un abri contre la chaleur du jour.
« A quoi penses-tu donc, Samuel? lui demanda Kennedy.
--A un contraste bizarre de la nature, à un singulier effet du hasard. Savez-vous dans quelle terre cet homme d'abnégation, ce pauvre de cœur a été enseveli?
--Que veux-tu dire? Samuel, demanda l'Écossais.
--Ce prêtre, qui avait fait vœu de pauvreté, repose maintenant dans une mine d'or!
--Une mine d'or! s'écrièrent Kennedy et Joe.
--Une mine d'or, répondit tranquillement le docteur. Ces blocs que vous foulez aux pieds comme des pierres sans valeur sont du minerai d'une grande pureté.
--Impossible! impossible! répéta Joe.
--Vous ne chercheriez pas longtemps dans ces fissures de schiste ardoisé sans rencontrer des pépites importantes. »
Joe se précipita comme un fou sur ces fragments épars. Kennedy n'était pas loin de l'imiter.
Calme-toi, mon brave Joe, lui dit son maître.
--Monsieur, vous en parlez à votre aise.
--Comment! un philosophe de ta trempe...
--Eh! Monsieur, il n'y a pas de philosophie qui tienne.
--Voyons! réfléchis un peu. A quoi nous servirait toute cette richesse nous ne pouvons pas l'emporter.
--Nous ne pouvons pas l'emporter! par exemple!
--C'est un peu lourd pour notre nacelle! J'hésitais même à te faire part de cette découverte, dans la crainte d'exciter tes regrets.
--Comment! dit Joe, abandonner ces trésors! Une fortune à nous! bien à nous! la laisser!
--Prends garde, mon ami. Est-ce que la fièvre de l'or te prendrait? est-ce que ce mort, que tu viens d'ensevelir, ne t'a pas enseigné la vanité des choses humaines?
--Tout cela est vrai, répondit Joe; mais enfin, de l'or! Monsieur Kennedy, est-ce que vous ne m'aiderez pas à ramasser un peu de ces millions?
--Qu'en ferions-nous, mon pauvre Joe? dit le chasseur qui ne put s'empêcher de sourire. Nous ne sommes pas venus ici chercher la fortune, et nous ne devons pas la rapporter.
--C'est un peu lourd, les millions, reprit le docteur, et cela ne se met pas aisément dans la poche.
--Mais enfin, répondit Joe, poussé dans ses derniers retranchements ne peut-on, au lieu de sable, emporter ce minerai pour lest?
--Eh bien! J'y consens, dit Fergusson; mais tu ne feras pas trop la grimace, quand nous jetterons quelques milliers de livres par-dessus le bord.
--Des milliers de livres! reprenait Joe, est-il possible que tout cela soit de l'or!
--Oui, mon ami; c'est un réservoir où la nature a entassé ses trésors depuis des siècles; il y a là de quoi enrichir des pays tout entiers! Une Australie et une Californie réunies au fond d'un désert!
--Et tout cela demeurera inutile!
--Peut-être! En tout cas, voici ce que je ferai pour te consoler.
--Ce sera difficile, répliqua Joe d'un air contrit.
--Ecoute. Je vais prendre la situation exacte de ce placer, je te la donnerai, et, à ton retour en Angleterre, tu en feras part à tes concitoyens, si tu crois que tant d'or puisse faire leur bonheur.
--Allons, mon maître, je vois bien que vous avez raison; je me résigne, puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement. Emplissons notre nacelle de ce précieux minerai. Ce qui restera à la fin du voyage sera toujours autant de gagné.
Et Joe se mit à l'ouvrage; il y allait de bon cœur; il eut bientôt entassé près de mille livres de fragments de quartz, dans lequel l'or se trouve renfermé comme dans une gangue d'une grande dureté.
Le docteur le regardait faire en souriant; pendant ce travail, il prit ses hauteurs, et trouva pour le gisement de la tombe du missionnaire 22° 23' de longitude, et 4° 55'de latitude septentrionale.