Jules Verne

Son temps le plus paisible fut celui où on le prit pour un fou il s'était familiarisé avec les idiomes de ces contrées; il catéchisait. Enfin, pendant deux longues années encore, il parcourut ces régions barbares, poussé par cette force surhumaine qui vient de Dieu; depuis un an, il résidait dans cette tribu des Nyam-Nyam, nommée Barafri, l'une des plus sauvages. Le chef étant mort il y a quelques jours, ce fut à lui qu'on attribua cette mort inattendue; on résolut de l'immoler; depuis quarante heures déjà durait son supplice; ainsi que l'avait supposé le docteur, il devait mourir au soleil de midi. Quand il entendit le bruit des armes à feu, la nature l'emporta: « A moi! à moi! » s'écria-t-il, et il crut avoir rêvé, lorsqu'une voix venue du ciel lui lança des paroles de consolation.

« Je ne regrette pas, ajouta-t-il, cette existence qui s'en va, ma vie est Dieu!

--Espérez encore, lui répondit le docteur; nous sommes près de vous; nous vous sauverons de la mort comme nous vous avons arraché au supplice.

--Je n'en demande pas tant au ciel, répondit le prêtre résigné! Béni soit Dieu de m'avoir donné avant de mourir cette joie de presser des mains amies, et d'entendre la langue de mon pays. »

Le missionnaire s'affaiblit de nouveau. La journée se passa ainsi entre l'espoir et la crainte, Kennedy très ému et Joe s'essuyant les yeux à l'écart.

Le Victoria faisait peu de chemin, et le vent semblait vouloir ménager son précieux fardeau.

Joe signala vers le soir une lueur immense dans l'ouest. Sous des latitudes plus élevées, on eût pu croire une vaste aurore boréale; le ciel paraissait en feu. Le docteur vint examiner attentivement ce phénomène.

« Ce ne peut être qu'un volcan en activité, dit-il.

--Mais le vent nous porte au-dessus, répliqua Kennedy.

--Eh bien! nous le franchirons à une hauteur rassurante. »

Trois heures après le Victoria se trouvait en pleines montagnes; sa position exacte était par 24° 15' de longitude et 4° 42' de latitude; devant lui, un ciel embrasé déversait des torrents de lave en fusion, et projetait des quartiers de roches à une grande élévation; il y avait des coulées de feu liquide qui retombaient en cascades éblouissantes. Magnifique et dangereux spectacle, car le vent, avec une fixité constante, portait le ballon vers cette atmosphère incendiée.

Cet obstacle que l'on ne pouvait tourner, il fallut le franchir; le chalumeau fut développé à toute flamme, et le Victoria parvint à six mille pieds, laissant entre le volcan et lui un espace de plus de trois cents toises.

De son lit de douleur, le prêtre mourant put contempler ce cratère en feu d'où s'échappaient avec fracas mille gerbes éblouissantes.

« Que c'est beau, dit-il, et que la puissance de Dieu est infinie jusque dans ses plus terribles manifestations! »

Cet épanchement de laves en ignition revêtait les flancs de la montagne d'un véritable tapis de flammes; l'hémisphère inférieur du ballon resplendissait dans la nuit; une chaleur torride montait jusqu'à la nacelle, et le docteur Fergusson eut hâte de fuir cette périlleuse situation.

Vers dix heures du soir, la montagne n'était plus qu'un point rouge à l'horizon, et le Victoria poursuivait tranquillement son voyage dans une zone moins élevée.

CHAPITRE XXIII

Colère de Joe.--La mort d'un juste.--La veillée du corps.--Aridité. --L'ensevelissement.--Les blocs de quartz.--Hallucination de Joe.--Un lest précieux.--Relèvement des montagnes aurifères.--Commencement des désespoirs de Joe.

Une nuit magnifique s'étendait sur la terre. Le prêtre s'endormit dans une prostration paisible.

« Il n'en reviendra pas, dit Joe! Pauvre jeune homme! trente ans à peine!

--Il s'éteindra dans nos bras! dit le docteur avec désespoir. Sa respiration déjà si faible s'affaiblit encore, et je ne puis rien pour le sauver!

--Les infâmes gueux! s'écriait Joe, que ces subites colères prenaient de temps à autre. Et penser que ce digne prêtre a trouvé encore des paroles pour les plaindre, pour les excuser, pour leur pardonner!

--Le ciel lui fait une nuit bien belle, Joe, sa dernière nuit peut-être.