Jules Verne

--Quelle tête dure! fit Joe.

--Nous allons essayer de quelques balles coniques au défaut doré au défaut de l'épaule, » reprit Dick en chargeant; sa carabine avec soin, et il fit feu.

L'animal poussa un cri terrible, et continua de plus belle.

« Voyons, dit Joe en s'armant de l'un des fusils, il faut que je vous aide, Monsieur Dick, ou cela n'en finira pas. »

Et deux balles allèrent se loger dans les flancs de la bête.

L'éléphant s'arrêta, dressa sa trompe, et reprit à toute vitesse sa course vers le bois; il secouait sa vaste tête, et le sang commençait à couler à flots de ses blessures.

« Continuons notre feu, Monsieur Dick.

--Et un feu nourri, ajouta le docteur, nous ne sommes pas à vingt toises du bois! »

Dix coups retentirent encore. L'éléphant fit un bond effrayant; la nacelle et le ballon craquèrent à faire croire que tout était brisé; la secousse fit tomber la hache des mains du docteur sur le sol.

La situation devenait terrible alors; le câble de l'ancre fortement assujetti ne pouvait être ni détaché, ni entamé par les couteaux des voyageurs; le ballon approchait rapidement du bois, quand l'animal reçut une balle dans l'œil au moment où il relevait la tête; il s'arrêta, hésita; ses genoux plièrent; il présenta son flanc au chasseur.

« Une balle au cœur, » dit celui-ci, en déchargeant une dernière fois la carabine.

L'éléphant poussa un rugissement de détresse et d'agonie; il se redressa un instant en faisant tournoyer sa trompe, puis il retomba de tout son poids sur une de ses défenses qu'il brisa net. Il était mort.

« Sa défense est brisée! s'écria Kennedy. De l'ivoire qui en Angleterre vaudrait trente-cinq guinées les demi-livres!

--Tant que cela, fit Joe, en s'affalant jusqu'à terre par la corde de l'ancre.

--A quoi servent tes regrets, mon cher Dick? répondit le docteur Fergusson. Est-ce que nous sommes des trafiquants d'ivoire? Sommes-nous venus ici pour faire fortune? »

Joe visita l'ancre; elle était solidement retenue à la défense demeurée intacte. Samuel et Dick sautèrent sur le sol, tandis que l'aérostat à demi dégonflé se balançait au-dessus du corps de l'animal.

La magnifique bête! s'écria Kennedy. Quelle masse! Je n'ai jamais vu dans l'Inde un éléphant de cette taille!

--Cela n'a rien d'étonnant, mon cher Dick; les éléphants du centre de L'Afrique sont les plus beaux. Les Anderson, les Cumming les ont tellement chassés aux environs du Cap, qu'ils émigrent vers l'équateur, où nous les rencontrerons souvent en troupes nombreuses.

--En attendant, répondit Joe, j'espère que nous goûterons un peu de celui-là! Je m'engage à vous procurer un repas succulent aux dépens de cet animal. M. Kennedy va chasser pendant une heure ou deux, M. Samuel va passer l'inspection du Victoria, et, pendant ce temps, je vais faire la cuisine.

--Voilà qui est bien ordonné, répondit le docteur. Fais à ta guise.

--Pour moi, dit le chasseur, Je vais prendre le deux heures de liberté que Joe a daigné m'octroyer.

--Va, mon ami; mais pas d'imprudence. Ne t'éloigne pas.

--Sois tranquille. »

Et Dick, armé de son fusil, s'enfonça dans le bois.

Alors Joe s'occupa de ses fonctions. Il fit d'abord dans la terre un trou profond de deux pieds; il le remplit de branches sèches qui couvraient le sol, et provenaient des trouées faites dans le bois par les éléphants dont on voyait les traces. Le trou rempli, il entassa au-dessus du bûcher haut de deux pieds, et il y mit le feu.

Ensuite il retourna vers le cadavre de l'éléphant, tombé à dix toises du bois à peine; il détacha adroitement la trompe qui mesurait près de deux pieds de largeur à sa naissance; il en choisit la partie la plus délicate, et y joignit un des pieds spongieux de l'animal; ce sont en effet les morceaux par excellence, comme la bosse du bison, la patte de l'ours ou la hure du sanglier.

Lorsque le bûcher fut entièrement consumé à l'intérieur et à l'extérieur, le trou, débarrassé des cendres et des charbons, offrit une température très élevée; les morceaux de l'éléphant, entourés de feuilles aromatiques, furent déposés au fond de ce four improvisé, et recouverts de cendres chaudes; puis, Joe éleva un second bûcher sur le tout, et quand le bois fut consumé, la viande était cuite à point.