Enfin le bâtiment vint en vue de la ville de Zanzibar, située sur l'île du même nom, et le 15 avril, à onze heures du matin, l laissa tomber l'ancre dans le port
L'île de Zanzibar appartient à l'imam de Mascate, allié de la France et de l'Angleterre, et c'est à coup sûr sa plus belle colonie. Le port reçoit un grand nombre de navires des contrées avoisinantes.
L'île n'est séparée de la côte africaine que par un canal dont la plus grande largeur n'excède pas trente milles [Douze lieues et demie].
Elle fait un grand commerce de gomme, d'ivoire, et surtout d'ébène, car Zanzibar est le grand marché d'esclaves. Là vient se concentrer tout ce butin conquis dans les batailles que les chefs de l'intérieur se livrent incessamment. Ce trafic s'étend aussi sur toute la côte orientale, et jusque sous les latitudes du Nil, et M G. Lejean y a vu faire ouvertement la traite sous pavillon français. Dès l'arrivée du Resolute, le consul anglais de Zanzibar vint à bord se mettre à la disposition du docteur, des projets duquel, depuis un mois, les journaux d'Europe l'avaient tenu au courant. Mais jusque-là il faisait partie de la nombreuse phalange des incrédules.
« Je doutais, dit-il en tendant la main à Samuel Fergusson, mais maintenant je ne doute plus. »
Il offrit sa propre maison au docteur, à Dick Kennedy, et naturellement au brave Joe.
Par ses soins, le docteur prit connaissance de diverses lettres qu'il avait reçues du capitaine Speke. Le capitaine et ses compagnons avaient eu à souffrir terriblement de la faim et du mauvais temps avant d'atteindre le pays d'Ugogo; ils ne s'avançaient qu'avec une extrême difficulté et ne pensaient plus pouvoir donner promptement de leurs nouvelles.
« Voilà des périls et des privations que nous saurons éviter, » dit le docteur.
Les bagages des trois voyageurs furent transportés à la maison du consul. On se disposait à débarquer le ballon sur la plage de Zanzibar; il y avait près du mât des signaux un emplacement favorable, auprès d'uneénorme construction qui l'eut abrité des vents d'est. Cette grosse tour, semblable à un tonneau dressé sur sa base, et près duquel la tonne d'Heidelberg n'eut été qu'un simple baril, servait de fort, et sur sa plate-forme veillaient des Beloutchis armés de lances, sorte de garnisaires fainéants et braillards.
Mais, lors du débarquement de l'aérostat, le consul fut averti que la population de l'île s'y opposerait par la force. Rien de plus aveugle que les passions fanatisées. La nouvelle de l'arrivée d'un chrétien qui devait s'enlever dans les airs fut reçue avec irritation; les nègres, plus émus que les Arabes, virent dans ce projet des intentions hostiles à leur religion; ils se. figuraient qu'on en voulait au soleil et à la lune. Or, ces deux astres sont un objet de vénération pour les peuplades africaines. On résolut donc de s'opposer à cette expédition sacrilège.
Le consul, instruit de ces dispositions, en conféra avec le docteur Fergusson et le commandant Pennet. Celui-ci ne voulait pas reculer devant des menaces; mais son ami lui fit entendre raison à ce sujet.
« Nous finirons certainement par l'emporter lui dit-il; les garnisaires mêmes de l'iman nous prêteraient main-forte; au besoin; mais, mon cher commandant, un accident est vite arrivé; il suffirait d'un mauvais coup pour causer au ballon un accident irréparable, et le voyage serait compromis sans remise; il faut donc agir avec de grandes précautions.
--Mais que faire? Si nous débarquons sur la côte d'Afrique, nous rencontrerons les mêmes difficultés! Que faire?
--Rien n'est plus simple, répondit. le consul. Voyez ces îles situées au delà du port; débarquez votre aérostat dans l'une d'elles, entourez-vous d'une ceinture de matelots, et vous n'aurez aucun risque à courir:
--Parfait, dit le docteur, et nous serons à notre aise pour achever nos préparatifs.
Le commandant se rendit à ce conseil. Le Resolute s'approcha de l'île de Koumbeni. Pendant la matinée du 16 avril, le ballon fut mis en sûreté au milieu d'une clairière, entre les grands bois dont le sol est hérissé.