Plus tard, il se rencontra un astronome français, Bailly, qui soutint que le peuple policé et perdu dont parle Platon, les Atlantides, vivait ici même. Enfin, de nos jours, on a prétendu qu'il existait aux pôles une immense ouverture, d'où se dégageait la lumière des aurores boréales, et par laquelle on pourrait pénétrer dans l'intérieur du globe; puis, dans la sphère creuse, on imagina l'existence de deux planètes, Pluton et Proserpine, et un air lumineux par suite de la forte pression qu'il éprouvait.
--On a dit tout cela? demanda Altamont.
--Et on l'a écrit, et très sérieusement. Le capitaine Synness, un de nos compatriotes, proposa à Humphry Davy, Humboldt et Arago de tenter le voyage! Mais ces savants refusèrent.
--Et ils firent bien.
--Je le crois. Quoi qu'il en soit, vous voyez, mes amis, que l'imagination s'est donné libre carrière à l'endroit du pôle, et qu'il faut tôt ou tard en revenir à la simple réalité.
--D'ailleurs, nous verrons bien, dit Johnson, qui n'abandonnait pas son idée.
--Alors, à demain les excursions, dit le docteur, souriant de voir le vieux marin peu convaincu, et, s'il y a une ouverture particulière pour aller au centre de la terre, nous irons ensemble!»
CHAPITRE XXV
LE MONT HATTERAS
Après cette conversation substantielle, chacun, s'arrangeant de son mieux dans la grotte, y trouva le sommeil.
Chacun, sauf Hatteras. Pourquoi cet homme extraordinaire ne dormit-il pas?
Le but de sa vie n'était-il pas atteint? N'avait-il pas accompli les hardis projets qui lui tenaient au coeur? Pourquoi le calme ne succédait-il pas à l'agitation dans cette âme ardente? Ne devait-on pas croire que, ses projets accomplis, Hatteras retomberait dans une sorte d'abattement, et que ses nerfs détendus aspireraient au repos? Après le succès, il semblait même naturel qu'il fût pris de ce sentiment de tristesse qui suit toujours les désirs satisfaits.
Mais non. Il se montrait plus surexcité. Ce n'était cependant pas la pensée du retour qui l'agitait ainsi. Voulait-il aller plus loin encore? Son ambition de voyageur n'avait-elle donc aucune limite, et trouvait-il le monde trop petit, parce qu'il en avait fait le tour?
Quoi qu'il en soit, il ne put dormir. Et cependant cette première nuit passée au pôle du monde fut pure et tranquille. L'île était absolument inhabitée. Pas un oiseau dans son atmosphère enflammée, pas un animal sur son sol de cendres, pas un poisson sous ses eaux bouillonnantes. Seulement au loin, les sourds ronflements de la montagne à la tête de laquelle s'échevelaient des panaches de fumée incandescente.
Lorsque Bell, Johnson, Altamont et le docteur se réveillèrent, ils ne trouvèrent plus Hatteras auprès d'eux. Inquiets, ils quittèrent la grotte, et ils aperçurent le capitaine debout sur un roc. Son regard demeurait invariablement fixé sur le sommet du volcan. Il tenait à la main ses instruments; il venait évidemment de faire le relevé exact de la montagne.
Le docteur alla vers lui et lui adressa plusieurs fois la parole avant de le tirer de sa contemplation. Enfin, le capitaine parut le comprendre.
«En route! lui dit le docteur, qui l'examinait d'un oeil attentif, en route; allons faire le tour de notre île; nous voilà prêts pour notre dernière excursion.
--La dernière, fit Hatteras avec cette intonation de la voix des gens qui rêvent tout haut; oui, la dernière, en effet. Mais aussi, reprit-il avec une grande animation, la plus merveilleuse!»
Il parlait ainsi, en passant ses deux mains sur son front pour en calmer les bouillonnements intérieurs.
En ce moment, Altamont, Johnson et Bell le rejoignirent; Hatteras parut alors sortir de son état d'hallucination.
«Mes amis, dit-il d'une voix émue, merci pour votre courage, merci pour votre persévérance, merci pour vos efforts surhumains qui nous ont permis de mettre le pied sur cette terre!
--Capitaine, dit Johnson, nous n'avons fait qu'obéir, et c'est à vous seul qu'en revient l'honneur.
--Non! non! reprit Hatteras avec une violente effusion, à vous tous comme à moi! à Altamont comme à nous tous! comme au docteur lui-même! Oh! laissez mon coeur faire explosion entre vos mains! Il ne peut plus contenir sa joie et sa reconnaissance!»
Hatteras serrait dans ses mains celles des braves compagnons qui l'entouraient.