Jules Verne

«Il m'est venu à l'esprit, leur dit-il, d'établir un phare au sommet de ce cône qui se dresse au-dessus de nos têtes.

--Un phare? s'écria-t-on.

--Oui, un phare! Il aura un double avantage, celui de nous guider la nuit, lorsque nous reviendrons de nos excursions lointaines, et celui d'éclairer le plateau pendant nos huit mois d'hiver.

--A coup sûr, répondit Altamont, un semblable appareil serait une chose utile; mais comment l'établirez-vous?

--Avec l'un des fanaux du _Porpoise_.

--D'accord; mais avec quoi alimenterez-vous la lampe de votre phare? Est-ce avec de l'huile de phoque?

--Non pas! la lumière produite par cette huile ne jouit pas d'un pouvoir assez éclairant; elle pourrait à peine percer le brouillard.

--Prétendez-vous donc tirer de notre houille l'hydrogène qu'elle contient, et nous faire du gaz d'éclairage?

--Bon! cette lumière serait encore insuffisante, et elle aurait le tort grave de consommer une partie de notre combustible.

--Alors, fit Altamont, je ne vois pas...

--Pour mon compte, répondit Johnson, depuis la balle de mercure, depuis la lentille de glace, depuis la construction du Fort-Providence, je crois M. Clawbonny capable de tout.

--Eh bien! reprit Altamont, nous direz-vous quel genre de phare vous prétendez établir?

--C'est bien simple, répondit le docteur, un phare électrique.

--Un phare électrique!

--Sans doute; n'aviez-vous pas à bord du _Porpoise_ une pile de Bunsen en parfait état?

--Oui, répondit l'Américain.

--Évidemment, en les emportant, vous aviez en vue quelque expérience, car rien ne manque, ni les fils conducteurs parfaitement isolés, ni l'acide néces-saire pour mettre les éléments en activité. Il est donc facile de nous procurer de la lumière électrique. On y verra mieux, et cela ne coûtera rien.

--Voilà qui est parfait, répondit le maître d'équipage, et moins nous perdrons de temps...

--Eh bien, les matériaux sont là, répondit le docteur, et en une heure nous aurons élevé une colonne de glace de dix pieds de hauteur, ce qui sera très suffisant.»

Le docteur sortit; ses compagnons le suivirent jusqu'au sommet du cône; la colonne s'éleva promptement et fut bientôt couronnée par l'un des fanaux du _Porpoise_.

Alors le docteur y adapta les fils conducteurs qui se rattachaient à la pile; celle-ci, placée dans le salon de la maison de glace, était préservée de la gelée par la chaleur des poêles. De là, les fils montaient jusqu'à la lanterne du phare.

Tout cela fut installé rapidement, et on attendit le coucher du soleil pour jouir de l'effet. A la nuit, les deux pointes de charbon, maintenues dans la lanterne à une distance convenable, furent rapprochées, et des faisceaux d'une lumière intense, que le vent ne pouvait ni modérer ni éteindre, jaillirent du fanal. C'était un merveilleux spectacle que celui de ces rayons frissonnants dont l'éclat, rivalisant avec la blancheur des plaines, dessinait vivement l'ombre de toutes les saillies environnantes. Johnson ne put s'empêcher de battre des mains.

«Voilà M. Clawbonny, dit-il, qui fait du soleil, à présent!

--Il faut bien faire un peu de tout», répondit modestement le docteur.

Le froid mit fin à l'admiration générale, et chacun alla se blottir sous ses couvertures.

La vie fut alors régulièrement organisée. Pendant les jours suivants, du 15 au 20 avril, le temps fut très incertain; la température sautait subitement d'une vingtaine de degrés, et l'atmosphère subissait des changements imprévus, tantôt imprégnée de neige et agitée par les tourbillons, tantôt froide et sèche au point que l'on ne pouvait mettre le pied au-dehors sans précaution.

Cependant, le samedi, le vent vint à tomber; cette circonstance rendait possible une excursion; on résolut donc de consacrer une journée à la chasse pour renouveler les provisions.

Dès le matin, Altamont, le docteur, Bell, armés chacun d'un fusil à deux coups, de munitions suffisantes, d'une hachette, et d'un couteau à neige pour le cas où il deviendrait nécessaire de se créer un abri, partirent par un temps couvert.