Hatteras se consolait un peu en se reportant aux temps modernes; les Anglais prenaient leur revanche avec Sturt, Donall Stuart, Burcke, Wills, King, Gray, en Australie, avec Palliser en Amérique, avec Haouran en Syrie, avec Cyril Graham, Wadington, Cummingham dans l'Inde, avec Barth, Burton, Speke, Grant, Livingston en Afrique.
Mais cela ne suffisait pas; pour Hatteras, ces hardis voyageurs étaient plutôt des _perfectionneurs_ que des _inventeurs_; il fallait donc trouver mieux, et John eût inventé un pays pour avoir l'honneur de le découvrir.
Or, il avait remarqué que si les Anglais ne formaient pas majorité parmi les découvreurs anciens, que s'il fallait remonter à Cook pour obtenir la Nouvelle-Calédonie en 1774, et les îles Sandwich où il périt en 1778, il existait néanmoins un coin du globe sur lequel ils semblaient avoir réuni tous leurs efforts.
C'étaient précisément les terres et les mers boréales du nord de l'Amérique.
En effet, le tableau des découvertes polaires se présente ainsi:
La Nouvelle-Zemble, découverte par Willoughby en 1553. L'île de Weigatz -- Barrough -- 1556. La côte ouest du Groënland -- Davis -- 1585. Le détroit de Davis -- Davis -- 1587. Le Spitzberg -- Willoughby -- 1596. La baie d'Hudson -- Hudson -- 1610. La baie de Baffin -- Baffin -- 1616.
Pendant ces dernières années, Hearne, Mackensie, John Ross, Parry, Franklin, Richardson, Beechey, James Ross, Back, Dease, Sompson, Rae, Inglefield, Belcher, Austin, Kellet, Moore, Mac Clure, Kennedy, MacClintock, fouillèrent sans interruption ces terres inconnues.
On avait bien délimité les côtes septentrionales de l'Amérique, à peu près découvert le passage du nordouest, mais ce n'était pas assez; il y avait mieux à faire, et ce mieux, John Hatteras l'avait deux fois tenté en armant deux navires à ses frais; il voulait arriver au pôle même, et couronner ainsi la série des découvertes anglaises par une tentative du plus grand éclat.
Parvenir au pôle, c'était le but de sa vie.
Après d'assez beaux voyages dans les mers du sud, Hatteras essaya pour la première fois en 1846 de s'élever au nord par la mer de Baffin; mais il ne put dépasser le soixante-quatorzième degré de latitude; il montait le sloop _l'Halifax_; son équipage eut à souffrir des tourments atroces, et John Hatteras poussa si loin son aventureuse audace, que désormais les marins furent peu tentés de recommencer de semblables expéditions sous un pareil chef.
Cependant, en 1850, Hatteras parvint à enrôler sur la goëlette _le Farewel_ une vingtaine d'hommes déterminés, mais déterminés surtout par le haut prix offert à leur audace. Ce fut dans cette occasion que le docteur Clawbonny entra en correspondance avec John Hatteras, qu'il ne connaissait pas, et demanda à faire partie de l'expédition; mais la place de médecin était prise, et ce fut heureux pour le docteur.
_Le Farewel_, en suivant la route prise par _le Neptune_, d'Aberdeen, en 1817, s'éleva au nord du Spitzberg jusqu'au soixante-seizième degré de latitude. Là, il fallut hiverner; mais les souffrances furent telles et le froid si intense, que pas un homme de l'équipage ne revit l'Angleterre, à l'exception du seul Hatteras, rapatrié par un baleinier danois, après une marche de plus de deux cents milles à travers les glaces.
La sensation produite par ce retour d'un seul homme fut immense; qui oserait désormais suivre Hatteras dans ses audacieuses tentatives? Cependant il ne désespéra pas de recommencer. Son père, le brasseur, mourut, et il devint possesseur d'une fortune de nabab.
Sur ces entrefaites, un fait géographique se produisit, qui porta le coup le plus sensible à John Hatteras.
Un brick, _l'Advance_, monté par dix-sept hommes, armé par le négociant Grinnel, commandé par le docteur Kane, et envoyé à la recherche de sir John Franklin, s'éleva, en 1853, par la mer ds Baffin et le détroit de Smith, jusqu'au delà du 82e degré de latitude boréale, plus près du pôle qu'aucun de ses devanciers.