Et c'était fort heureux, car le temps eût manqué pour les construire.
Cependant, malgré la perfection de ces appareils, malgré l'ingéniosité des savants chargés de les employer, le succès de l'opération n'était rien moins qu'assuré. Que de chances incertaines, puisqu'il s'agissait de reprendre ce projectile à vingt mille pieds sous les eaux! Puis, lors même que le boulet serait ramené à la surface, comment ses voyageurs auraient-ils supporté ce choc terrible que vingt mille pieds d'eau n'avaient peut-être pas suffisamment amorti?
Enfin, il fallait agir au plus vite. J.-T. Maston pressait jour et nuit ses ouvriers. Il était prêt, lui, soit à endosser le scaphandre, soit à essayer les appareils à air, pour reconnaître la situation de ses courageux amis.
Cependant, malgré toute la diligence déployée pour la confection des divers engins, malgré les sommes considérables qui furent mises à la disposition du Gun-Club par le gouvernement de l'Union, cinq longs jours, cinq siècles! s'écoulèrent avant que ces préparatifs fussent terminés. Pendant ce temps, l'opinion publique était surexcitée au plus haut point. Des télégrammes s'échangeaient incessamment dans le monde entier par les fils et les câbles électriques. Le sauvetage de Barbicane, de Nicholl et de Michel Ardan était une affaire internationale. Tous les peuples qui avaient souscrit à l'emprunt du Gun-Club s'intéressaient directement au salut des voyageurs.
Enfin, les chaînes de halage, les chambres à air, les grappins automatiques furent embarqués à bord de la _Susquehanna_. J.-T. Maston, l'ingénieur Murchison, les délégués du Gun-Club occupaient déjà leur cabine. Il n'y avait plus qu'à partir.
Le 21 décembre, à huit heures du soir, la corvette appareilla par une belle mer, une brise de nord-est et un froid assez vif. Toute la population de San Francisco se pressait sur les quais, émue, muette cependant, réservant ses hurrahs pour le retour.
La vapeur fut poussée à son maximum de tension, et l'hélice de la _Susquehanna_ l'entraîna rapidement hors de la baie.
Inutile de raconter les conversations du bord entre les officiers, les matelots, les passagers. Tous ces hommes n'avaient qu'une seule pensée. Tous ces coeurs palpitaient sous la même émotion. Pendant que l'on courait à leur secours, que faisaient Barbicane et ses compagnons? Que devenaient-ils? Étaient-ils en état de tenter quelque audacieuse manoeuvre pour conquérir leur liberté? Nul n'eût pu le dire. La vérité est que tout moyen eût échoué! Immergé à près de deux lieues sous l'Océan, cette prison de métal défiait les efforts de ses prisonniers.
Le 23 décembre, à huit heures du matin, après une traversée rapide, la _Susquehanna_ devait être arrivée sur le lieu du sinistre. Il fallut attendre midi pour obtenir un relèvement exact. La bouée sur laquelle était frappée la ligne de sonde n'avait pas encore été reconnue.
A midi, le capitaine Blomsberry, aidé de ses officiers qui contrôlaient l'observation, fit son point en présence des délégués du Gun-Club. Il y eut alors un moment d'anxiété. Sa position déterminée, la _Susquehanna_ se trouvait dans l'ouest, à quelques minutes de l'endroit même où le projectile avait disparu sous les flots.
La direction de la corvette fut donc donnée de manière à gagner ce point précis.
A midi quarante-sept minutes, on eut connaissance de la bouée. Elle était en parfait état et devait avoir peu dérivé.
«Enfin! s'écria J.-T. Maston.
--Nous allons commencer? demanda le capitaine Blomsberry.
--Sans perdre une seconde », répondit J.-T. Maston.
Toutes les précautions furent prises pour maintenir la corvette dans une immobilité complète.
Avant de chercher à saisir le projectile, l'ingénieur Murchison voulut d'abord reconnaître sa position sur le fond océanique. Les appareils sous-marins, destinés à cette recherche, reçurent leur approvisionnement d'air. Le maniement de ces engins n'est pas sans danger, car, à vingt mille pieds au-dessous de la surface des eaux et sous des pressions aussi considérables, ils sont exposés à des ruptures dont les conséquences seraient terribles.