Jules Verne

Il appuyait encore son argumentation par une série de gestes que son redoutable crochet rendait fort inquiétants.

En ce moment, le domestique de Belfast apparut sur la plate-forme -- il était dix heures du soir --, et il lui remit une dépêche. C'était le télégramme du commandant de la _Susquehanna_.

Belfast déchira l'enveloppe, lut, et poussa un cri.

«Hein! fit J.-T. Maston.

--Le boulet!

--Eh bien?

--Il est retombé sur la Terre!»

Un nouveau cri, un hurlement cette fois, lui répondit.

Il se tourna vers J.-T. Maston. L'infortuné, imprudemment penché sur le tube de métal, avait disparu dans l'immense télescope! Une chute de deux cent quatre-vingts pieds! Belfast, éperdu, se précipita vers l'orifice du réflecteur.

Il respira, J.-T. Maston, retenu par son crochet de métal, se tenait à l'un des étrésillons qui maintenaient l'écartement du télescope. Il poussait des cris formidables.

Belfast appela. Ses aides accoururent. Des palans furent installés, et on hissa, non sans peine, l'imprudent secrétaire du Gun-Club.

Il reparut sans accident à l'orifice supérieur.

«Hein! dit-il, si j'avais cassé le miroir!

--Vous l'auriez payé, répondit sévèrement Belfast.

--Et ce damné boulet est tombé?» demanda J.-T. Maston.

--Dans le Pacifique!

--Partons. »

Un quart d'heure après, les deux savants descendaient la pente des montagnes Rocheuses, et deux jours après, en même temps que leurs amis du Gun-Club, ils arrivaient à San Francisco, ayant crevé cinq chevaux sur leur route.

Elphiston, Blomsberry frère, Bilsby, s'étaient précipités vers eux à leur arrivée.

«Que faire? s'écrièrent-ils.

--Repêcher le boulet, répondit J.-T. Maston, et le plus tôt possible!»

XXII

Le sauvetage

L'endroit même où le projectile s'était abîmé sous les flots était connu exactement. Les instruments pour le saisir et le ramener à la surface de l'Océan manquaient encore. Il fallait les inventer, puis les fabriquer. Les ingénieurs américains ne pouvaient être embarrassés de si peu. Les grappins une fois établis et la vapeur aidant, ils étaient assurés de relever le projectile, malgré son poids, que diminuait d'ailleurs la densité du liquide au milieu duquel il était plongé.

Mais repêcher le boulet ne suffisait pas. Il fallait agir promptement dans l'intérêt des voyageurs. Personne ne mettait en doute qu'ils ne fussent encore vivants.

«Oui! répétait incessamment J.-T. Maston, dont la confiance gagnait tout le monde, ce sont des gens adroits que nos amis, et ils ne peuvent être tombés comme des imbéciles. Ils sont vivants, bien vivants, mais il faut se hâter pour les retrouver tels. Les vivres, l'eau, ce n'est pas ce qui m'inquiète! Ils en ont pour longtemps! Mais l'air, l'air! Voilà ce qui leur manquera bientôt. Donc vite, vite!»

Et l'on allait vite. On appropriait la _Susquehanna_ pour sa nouvelle destination. Ses puissantes machines furent disposées pour être mises sur les chaînes de halage. Le projectile en aluminium ne pesait que dix-neuf mille deux cent cinquante livres, poids bien inférieur à celui du câble transatlantique qui fut relevé dans des conditions pareilles. La seule difficulté était donc de repêcher un boulet cylindro-conique que ses parois lisses rendaient difficile à crocher.

Dans ce but, l'ingénieur Murchison, accouru à San Francisco, fit établir d'énormes grappins d'un système automatique qui ne devaient plus lâcher le projectile, s'ils parvenaient à le saisir dans leurs pinces puissantes. Il fit aussi préparer des scaphandres qui, sous leur enveloppe imperméable et résistante, permettaient aux plongeurs de reconnaître le fond de la mer. Il embarqua également à bord de la _Susquehanna_ des appareils à air comprimé, très ingénieusement imaginés. C'étaient de véritables chambres, percées de hublots, et que l'eau, introduite dans certains compartiments, pouvait entraîner à de grandes profondeurs. Ces appareils existaient à San Francisco, où ils avaient servi à la construction d'une digue sous-marine.