Jules Verne

--Oui, cela doit être ainsi, c'est ainsi! s'écria le jeune midshipman, enthousiasmé par la description idéale de son supérieur.

--Je veux le croire, répondit le lieutenant Bronsfield, qui ne s'emportait guère. Malheureusement, les nouvelles directes du monde lunaire nous manqueront toujours.

--Pardon, mon lieutenant, dit le midshipman, mais le président Barbicane ne peut-il écrire?»

Un éclat de rire accueillit cette réponse.

«Non pas des lettres, reprit vivement le jeune homme. L'administration des postes n'a rien à voir ici.

--Serait-ce donc l'administration des lignes télégraphiques? demanda ironiquement un des officiers.

--Pas davantage, répondit le midshipman qui ne se démontait pas. Mais il est très facile d'établir une communication graphique avec la Terre.

--Et comment?

--Au moyen du télescope de Long's peak. Vous savez qu'il ramène la Lune à deux lieues seulement des montagnes Rocheuses, et qu'il permet de voir, à sa surface, les objets ayant neuf pieds de diamètre. Eh bien, que nos industrieux amis construisent un alphabet gigantesque! qu'ils écrivent des mots longs de cent toises et des phrases longues d'une lieue, et ils pourront ainsi nous envoyer de leurs nouvelles!»

On applaudit bruyamment le jeune midshipman qui ne laissait pas d'avoir une certaine imagination. Le lieutenant Bronsfield convint lui-même que l'idée était exécutable. Il ajouta que par l'envoi de rayons lumineux groupés en faisceaux au moyen de miroirs paraboliques, on pouvait aussi établir des communications directes; en effet, ces rayons seraient aussi visibles à la surface de Vénus ou de Mars, que la planète Neptune l'est de la Terre. Il finit en disant que des points brillants déjà observés sur les planètes rapprochées, pourraient bien être des signaux faits à la Terre. Mais il fit observer que si, par ce moyen, on pouvait avoir des nouvelles du monde lunaire, on ne pouvait en envoyer du monde terrestre, à moins que les Sélénites n'eussent à leur disposition des instruments propres à faire des observations lointaines.

«Évidemment, répondit un des officiers, mais ce que sont devenus les voyageurs, ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont vu, voilà surtout ce qui doit nous intéresser. D'ailleurs, si l'expérience a réussi, ce dont je ne doute pas, on la recommencera. La Columbiad est toujours encastrée dans le sol de la Floride. Ce n'est donc plus qu'une question de boulet et de poudre, et toutes les fois que la Lune passera au zénith, on pourra lui envoyer une cargaison de visiteurs.

--Il est évident, répondit le lieutenant Bronsfield, que J.-T. Maston ira l'un de ces jours rejoindre ses amis.

--S'il veut de moi, s'écria le midshipman, je suis prêt à l'accompagner.

--Oh! les amateurs ne manqueront pas, répliqua Bronsfield, et, si on les laisse faire, la moitié des habitants de la Terre aura bientôt émigré dans la Lune!»

Cette conversation entre les officiers de la _Susquehanna_ se soutint jusqu'à une heure du matin environ. On ne saurait dire quels systèmes étourdissants, quelles théories renversantes furent émis par ces esprits audacieux. Depuis la tentative de Barbicane, il semblait que rien ne fût impossible aux Américains. Ils projetaient déjà d'expédier, non plus une commission de savants, mais toute une colonie vers les rivages sélénites, et toute une armée avec infanterie, artillerie et cavalerie, pour conquérir le monde lunaire.

A une heure du matin, le halage de la sonde n'était pas encore achevé. Dix mille pieds restaient dehors, ce qui nécessitait encore un travail de plusieurs heures. Suivant les ordres du commandant, les feux avaient été allumés, et la pression montait déjà. La _Susquehanna_ aurait pu partir à l'instant même.

En ce moment -- il était une heure dix-sept minutes du matin -- le lieutenant Bronsfield se disposait à quitter le quart et à regagner sa cabine, quand son attention fut attirée par un sifflement lointain et tout à fait inattendu.

Ses camarades et lui crurent tout d'abord que ce sifflement était produit par une fuite de vapeur; mais, relevant la tête, ils purent constater que ce bruit se produisait vers les couches les plus reculées de l'air.