Jules Verne

Et cependant, si l'atmosphère s'est réfugiée sur cette face? Si, avec l'air, l'eau a donné la vie à ces continents régénérés? Si la végétation y persiste encore? Si les animaux peuplent ces continents et ces mers? Si l'homme, dans ces conditions d'habitabilité, y vit toujours? Que de questions il eût été intéressant de résoudre! Que de solutions on eût tirées de la contemplation de cet hémisphère! Quel ravissement de jeter un regard sur ce monde que l'oeil humain n'a jamais entrevu!

On conçoit donc le déplaisir éprouvé par les voyageurs, au milieu de cette nuit noire. Toute observation du disque lunaire était interdite. Seules, les constellations sollicitaient leur regard, et il faut convenir que jamais astronomes, ni les Faye, ni les Chacornac, ni les Secchi, ne s'étaient trouvés dans des conditions aussi favorables pour les observer.

En effet, rien ne pouvait égaler la splendeur de ce monde sidéral baigné dans le limpide éther. Ces diamants incrustés dans la voûte céleste jetaient des feux superbes. Le regard embrassait le firmament depuis la Croix du Sud jusqu'à l'Étoile du Nord, ces deux constellations qui, dans douze mille ans, par suite de la précession des équinoxes, céderont leur rôle d'étoiles polaires, l'une à Canopus, de l'hémisphère austral, l'autre à Véga, de l'hémisphère boréal. L'imagination se perdait dans cet infini sublime, au milieu duquel gravitait le projectile, comme un nouvel astre créé de la main des hommes. Par un effet naturel, ces constellations brillaient d'un éclat doux; elles ne scintillaient pas, car l'atmosphère manquait, qui, par l'interposition de ses couches inégalement denses et diversement humides, produit la scintillation. Ces étoiles, c'étaient de doux yeux qui regardaient dans cette nuit profonde, au milieu du silence absolu de l'espace.

Longtemps les voyageurs, muets, observèrent ainsi le firmament constellé, sur lequel le vaste écran de la Lune faisait un énorme trou noir. Mais une sensation pénible les arracha enfin à leur contemplation. Ce fut un froid très vif, qui ne tarda pas à recouvrir intérieurement la vitre des hublots d'une épaisse couche de glace. En effet, le soleil n'échauffait plus de ses rayons directs le projectile qui perdait peu à peu la chaleur emmagasinée entre ses parois. Cette chaleur, par rayonnement, s'était rapidement évaporée dans l'espace, et un abaissement considérable de température s'était produit. L'humidité intérieure se changeait donc en glace au contact des vitres, et empêchait toute observation.

Nicholl, consultant le thermomètre, vit qu'il était tombé à dix-sept degrés centigrades au-dessous de zéro. Donc, malgré toutes les raisons de s'en montrer économe, Barbicane, après avoir demandé au gaz sa lumière, dut aussi lui demander sa chaleur. La température basse du boulet n'était plus supportable. Ses hôtes eussent été gelés vivants.

«Nous ne nous plaindrons pas, fit observer Michel Ardan, de la monotonie de notre voyage! Quelle diversité, au moins dans la température! Tantôt nous sommes aveuglés de lumière et saturés de chaleur, comme les Indiens des Pampas! tantôt nous sommes plongés dans de profondes ténèbres, au milieu d'un froid boréal, comme les Esquimaux du pôle! Non vraiment! nous n'avons pas le droit de nous plaindre, et la nature fait bien les choses en notre honneur.

--Mais, demanda Nicholl, quelle est la température extérieure?

--Précisément celle des espaces planétaires, répondit Barbicane.

--Alors, reprit Michel Ardan, ne serait-ce pas l'occasion de faire cette expérience que nous n'avons pu tenter, quand nous étions noyés dans les rayons solaires?

--C'est le moment ou jamais, répondit Barbicane, car nous sommes utilement placés pour vérifier la température de l'espace, et voir si les calculs de Fourier ou de Pouillet sont exacts.

--En tout cas, il fait froid! répondit Michel. Voyez l'humidité intérieure se condenser sur la vitre des hublots. Pour peu que l'abaissement continue, la vapeur de notre respiration va retomber en neige autour de nous!

--Préparons un thermomètre», dit Barbicane.