On le pense bien, un thermomètre ordinaire n'eût donné aucun résultat dans les circonstances où cet instrument allait être exposé. Le mercure se fût gelé dans la cuvette, puisque sa liquidité ne se maintient pas à quarante-deux degrés au-dessous de zéro. Mais Barbicane s'était muni d'un thermomètre à déversement, du système Walferdin, qui donne des minima de température excessivement bas.
Avant de commencer l'expérience, cet instrument fut comparé à un thermomètre ordinaire, et Barbicane se disposa à l'employer.
«Comment nous y prendrons-nous? demanda Nicholl.
--Rien n'est plus facile, répondit Michel Ardan, qui n'était jamais embarrassé. On ouvre rapidement le hublot; on lance l'instrument; il suit le projectile avec une docilité exemplaire; un quart d'heure après, on le retire...
--Avec la main? demanda Barbicane.
--Avec la main, répondit Michel.
--Eh bien, mon ami, ne t'y expose pas, répondit Barbicane, car la main que tu retirerais ne serait plus qu'un moignon gelé et déformé par ces froids épouvantables.
--Vraiment!
--Tu éprouverais la sensation d'une brûlure terrible, telle que serait celle d'un fer chauffé à blanc; car, que la chaleur sorte brutalement de notre chair, ou qu'elle y entre, c'est identiquement la même chose. D'ailleurs, je ne suis pas certain que les objets jetés par nous au dehors du projectile nous fassent encore cortège.
--Pourquoi? dit Nicholl.
--C'est que, si nous traversons une atmosphère, quelque peu dense qu'elle soit, ces objets seront retardés. Or, l'obscurité nous empêche de vérifier s'ils flottent encore autour de nous. Donc, pour ne pas nous exposer à perdre notre thermomètre, nous l'attacherons et nous le ramènerons plus facilement à l'intérieur.»
Les conseils de Barbicane furent suivis. Par le hublot rapidement ouvert, Nicholl lança l'instrument que retenait une corde très courte, afin qu'il pût être rapidement retiré. Le hublot n'avait été entrouvert qu'une seconde, et cependant cette seconde avait suffi pour laisser un froid violent pénétrer à l'intérieur du projectile.
«Mille diables! s'écria Michel Ardan, il fait un froid à geler des ours blancs!»
Barbicane attendit qu'une demi-heure se fût écoulée, temps plus que suffisant pour permettre à l'instrument de descendre au niveau de la température de l'espace. Puis, après ce temps, le thermomètre fut rapidement retiré.
Barbicane calcula la quantité d'esprit-de-vin déversée dans la petite ampoule soudée à la partie inférieure de l'instrument, et dit:
«Cent quarante degrés centigrades au-dessous de zéro!»
M. Pouillet avait raison contre Fourier. Telle était la redoutable température de l'espace sidéral! Telle est, peut-être, celle des continents lunaires, quand l'astre des nuits a perdu par rayonnement toute cette chaleur que lui ont versée quinze jours de soleil!
XV
Hyperbole ou parabole
On s'étonnera peut-être de voir Barbicane et ses compagnons si peu soucieux de l'avenir que leur réservait cette prison de métal emportée dans les infinis de l'éther. Au lieu de se demander où ils allaient ainsi, ils passaient leur temps à faire des expériences, comme s'ils eussent été tranquillement installés dans leur cabinet de travail.
On pourrait répondre que des hommes si fortement trempés étaient au-dessus de pareils soucis, qu'ils ne s'inquiétaient pas de si peu, et qu'ils avaient autre chose à faire que de se préoccuper de leur sort futur.
La vérité est qu'ils n'étaient pas maîtres de leur projectile, qu'ils ne pouvaient ni enrayer sa marche ni modifier sa direction. Un marin change à son gré le cap de son navire; un aéronaute peut imprimer à son ballon des mouvements verticaux. Eux, au contraire, ils n'avaient aucune action sur leur véhicule. Toute manœuvre leur était interdite. De là cette disposition à laisser faire, à «laisser courir», suivant l'expression maritime.
Où se trouvaient-ils en ce moment, à huit heures du matin, pendant cette journée qui s'appelait le 6 décembre sur la Terre? Très certainement dans le voisinage de la Lune, et même assez près pour qu'elle leur parût comme un immense écran noir développé sur le firmament.