Jules Verne

Lecouturier et Chapuis, beau modèle dressé en 1860, d'un dessin très net et d'une très claire disposition.

Telle est la nomenclature des diverses cartes relatives au monde lunaire. Barbicane en possédait deux, celle de MM. Beer et Moedler, et celle de MM. Chapuis et Lecouturier. Elles devaient-lui rendre plus facile son travail d'observateur.

Quant aux instruments d'optique mis à sa disposition, c'étaient d'excellentes lunettes marines, spécialement établies pour ce voyage. Elles grossissaient cent fois les objets. Elles auraient donc rapproché la Lune de la Terre à une distance inférieure à mille lieues. Mais alors, à une distance qui vers trois heures du matin ne dépassait pas cent vingt kilomètres, et dans un milieu qu'aucune atmosphère ne troublait, ces instruments devaient ramener le niveau lunaire à moins de quinze cents mètres

XI

Fantaisie et réalisme

«Avez-vous jamais vu la Lune? demandait ironiquement un professeur à l'un de ses élèves.

--Non, monsieur, répliqua l'élève plus ironiquement encore, mais je dois dire que j'en ai entendu parler.»

Dans un sens, la plaisante réponse de l'élève pourrait être faite par l'immense majorité des êtres sublunaires. Que de gens ont entendu parler de la Lune, qui ne l'ont jamais vue... du moins à travers l'oculaire d'une lunette ou d'un télescope! Combien n'ont même jamais examiné la carte de leur satellite!

En regardant une mappemonde sélénographique, une particularité frappe tout d'abord.

Contrairement à la disposition suivie pour la Terre et Mars, les continents occupent plus particulièrement l'hémisphère sud du globe lunaire. Ces continents ne présentent pas ces lignes terminales, si nettes et si régulières qui dessinent l'Amérique méridionale, l'Afrique et la péninsule indienne. Leurs côtes anguleuses, capricieuses, profondément déchiquetées, sont riches en golfes et en presqu'îles. Elles rappellent volontiers tout l'imbroglio des îles de la Sonde, où les terres sont divisées à l'excès. Si la navigation a jamais existé à la surface de la Lune, elle a dû être singulièrement difficile et dangereuse, et il faut plaindre les marins et les hydrographes sélénites, ceux-ci quand ils faisaient le levé de ces rivages tourmentés, ceux-là lorsqu'ils donnaient sur ces périlleux atterrages.

On remarquera aussi que sur le sphéroïde lunaire, le pôle sud est beaucoup plus continental que le pôle nord. A ce dernier, il n'existe qu'une légère calotte de terres séparées des autres continents par de vastes mers.[Il est bien entendu que par ce mot «mers» nous désignons ces immenses espaces, qui, probablement recouverts par les eaux autrefois, ne sont plus actuellement que de vastes plaines.] Vers le sud, les continents revêtent presque tout l'hémisphère. Il est donc possible que les Sélénites aient déjà planté le pavillon sur l'un de leurs pôles, tandis que les Franklin, les Ross, les Kane, les Dumont-d'Urville, les Lambert n'ont pas encore pu atteindre ce point inconnu du globe terrestre.

Quant aux îles, elles sont nombreuses à la surface de la Lune. Presque toutes oblongues ou circulaires et comme tracées au compas, elles semblent former un vaste archipel, comparable à ce groupe charmant jeté entre la Grèce et l'Asie Mineure, que la mythologie a jadis animé de ses plus gracieuses légendes. Involontairement, les noms de Naxos, de Ténédos, de Milo, de Carpathos, viennent à l'esprit, et l'on cherche des yeux le vaisseau d'Ulysse ou le «clipper» des Argonautes. C'est, du moins, ce que réclamait Michel Ardan; c'était un archipel grec qu'il voyait sur la carte. Aux yeux de ses compagnons peu fantaisistes, l'aspect de ses côtes rappelait plutôt les terres morcelées du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, et là où le Français retrouvait la trace des héros de la fable, ces Américains relevaient les points favorables à l'établissement de comptoirs, dans l'intérêt du commerce et de l'industrie lunaires.

Pour achever la description de la partie continentale de la Lune, quelques mots sur sa disposition orographique.