Jules Verne

D'abord, ils séparent les plaques de nacre connues dans le commerce sous le nom de _franche argentée_, de _bâtarde blanche_ et de _batarde noire_, qui sont livrées par caisses de cent vingt-cinq à cent cinquante kilogrammes. Puis, ils enlèvent le parenchyme de l'huître, ils le font bouillir, et ils le tamisent afin d'en extraire jusqu'aux plus petites perles.

-- Le prix de ces perles varie suivant leur grosseur ? demanda Conseil.

-- Non seulement selon leur grosseur, répondis-je, mais aussi selon leur forme, selon leur _eau_, c'est-à-dire leur couleur, et selon leur _orient_, c'est-à-dire cet éclat chatoyant et diapré qui les rend si charmantes a l'oeil. Les plus belles perles sont appelées perles vierges ou paragons ; elles se forment isolément dans le tissu du mollusque ; elles sont blanches, souvent opaques, mais quelquefois d'une transparence opaline, et le plus communément sphériques ou piriformes. Sphériques, elles forment les bracelets ; piriformes, des pendeloques, et, étant les plus précieuses, elles se vendent à la pièce. Les autres perles adhèrent à la coquille de l'huître, et, plus irrégulières, elles se vendent au poids. Enfin, dans un ordre inférieur se classent les petites perles, connues sous le nom de semences ; elles se vendent à la mesure et servent plus particulièrement à exécuter des broderies sur les ornements d'église.

-- Mais ce travail, qui consiste à séparer les perles selon leur grosseur, doit être long et difficile, dit le Canadien.

-- Non, mon ami. Ce travail se fait au moyen de onze tamis ou cribles percés d'un nombre variable de trous. Les perles qui restent dans les tamis, qui comptent de vingt à quatre-vingts trous, sont de premier ordre. Celles qui ne s'échappent pas des cribles percés de cent à huit cents trous sont de second ordre. Enfin, les perles pour lesquelles l'on emploie les tamis percés de neuf cents à mille trous forment la semence.

-- C'est ingénieux, dit Conseil, et je vois que la division, le classement des perles, s'opère mécaniquement. Et monsieur pourra-t-il nous dire ce que rapporte l'exploitation des bancs d'huîtres perlières ?

-- A s'en tenir au livre de Sirr, répondis-je, les pêcheries de Ceylan sont affermées annuellement pour la somme de trois millions de squales.

-- De francs ! reprit Conseil.

-- Oui, de francs ! Trois millions de francs, repris-je. Mais je crois que ces pêcheries ne rapportent plus ce qu'elles rapportaient autrefois. Il en est de même des pêcheries américaines, qui, sous le règne de Charles Quint, produisaient quatre millions de francs, présentement réduits aux deux tiers. En somme, on peut évaluer à neuf millions de francs le rendement général de l'exploitation des perles.

-- Mais, demanda Conseil, est-ce que l'on ne cite pas quelques perles célèbres qui ont été cotées à un très haut prix ?

-- Oui, mon garçon. On dit que César offrit à Servillia une perle estimée cent vingt mille francs de notre monnaie.

-- J'ai même entendu raconter, dit le Canadien, qu'une certaine dame antique buvait des perles dans son vinaigre.

-- Cléopâtre, riposta Conseil.

-- Ça devait être mauvais, ajouta Ned Land.

-- Détestable, ami Ned, répondit Conseil ; mais un petit verre de vinaigre qui coûte quinze cents mille francs, c'est d'un joli prix.

-- Je regrette de ne pas avoir épousé cette dame, dit le Canadien en manoeuvrant son bras d'un air peu rassurant.

-- Ned Land l'époux de Cléopâtre ! s'écria Conseil.

-- Mais j'ai dû me marier, Conseil, répondit sérieusement le Canadien, et ce n'est pas ma faute si l'affaire n'a pas réussi. J'avais même acheté un collier de perles à Kat Tender, ma fiancée, qui, d'ailleurs, en a épousé un autre. Eh bien, ce collier ne m'avait pas coûté plus d'un dollar et demi, et cependant - monsieur le professeur voudra bien me croire les perles qui le composaient n'auraient pas passé par le tamis de vingt trous.

-- Mon brave Ned, répondis-je en riant, c'étaient des perles artificielles, de simples globules de verre enduits à l'intérieur d'essence d'Orient.