Jules Verne

-- Si peu que rien ! Ce n'est autre chose que la substance argentée de l'écaille de l'ablette, recueillie dans l'eau et conservée dans l'ammoniaque. Elle n'a aucune valeur.

-- C'est peut-être pour cela que Kat Tender en a épousé un autre, répondit philosophiquement maître Land.

-- Mais, dis-je, pour en revenir aux perles de haute valeur, je ne crois pas que jamais souverain en ait possédé une supérieure à celle du capitaine Nemo.

-- Celle-ci, dit Conseil, en montrant le magnifique bijou enfermé sous sa vitrine.

-- Certainement, je ne me trompe pas en lui assignant une valeur de deux millions de...

-- Francs ! dit vivement Conseil.

-- Oui, dis-je, deux millions de francs, et, sans doute elle n'aura coûté au capitaine que la peine de la ramasser.

-- Eh ! s'écria Ned Land, qui dit que demain, pendant notre promenade, nous ne rencontrerons pas sa pareille !

-- Bah ! fit Conseil.

-- Et pourquoi pas ?

-- A quoi des millions nous serviraient-ils à bord du _Nautilus_ ?

-- A bord, non, dit Ned Land, mais... ailleurs.

-- Oh ! ailleurs ! fit Conseil en secouant la tête.

-- Au fait, dis-je, maître Land a raison. Et si nous rapportons jamais en Europe ou en Amérique une perle de quelques millions, voilà du moins qui donnera une grande authenticité, et, en même temps, un grand prix au récit de nos aventures.

-- Je le crois, dit le Canadien.

-- Mais, dit Conseil, qui revenait toujours au côté instructif des choses, est-ce que cette pêche des perles est dangereuse ?

-- Non, répondis-je vivement, surtout si l'on prend certaines précautions.

-- Que risque-t-on dans ce métier ? dit Ned Land : d'avaler quelques gorgées d'eau de mer !

-- Comme vous dites, Ned. A propos, dis-je, en essayant de prendre le ton dégagé du capitaine Nemo, est-ce que vous avez peur des requins, brave Ned ?

-- Moi, répondit le Canadien, un harponneur de profession ! C'est mon métier de me moquer d'eux !

-- Il ne s'agit pas, dis-je, de les pêcher avec un émerillon, de les hisser sur le pont d'un navire, de leur couper la queue à coups de hache, de leur ouvrir le ventre, de leur arracher le coeur et de le jeter à la mer !

-- Alors, il s'agit de... ?

-- Oui, précisément.

-- Dans l'eau ?

-- Dans l'eau.

-- Ma foi, avec un bon harpon ! Vous savez, monsieur, ces requins, ce sont des bêtes assez mal façonnées. Il faut qu'elles se retournent sur le ventre pour vous happer, et, pendant ce temps... »

Ned Land avait une manière de prononcer le mot « happer » qui donnait froid dans le dos.

« Eh bien, et toi, Conseil, que penses-tu de ces squales ?

-- Moi, dit Conseil, je serai franc avec monsieur.

-- A la bonne heure, pensai-je.

-- Si monsieur affronte les requins, dit Conseil, je ne vois pas pourquoi son fidèle domestique ne les affronterait pas avec lui ! »

III

UNE PERLE DE DIX MILLIONS

La nuit arriva. Je me couchai. Je dormis assez mal. Les squales jouèrent un rôle important dans mes rêves, et je trouvai très juste et très injuste à la fois cette étymologie qui fait venir le mot requin du mot « requiem ».

Le lendemain, à quatre heures du matin, je fus réveillé par le stewart que le capitaine Nemo avait spécialement mis à mon service. Je me levai rapidement, je m'habillai et je passai dans le salon.

Le capitaine Nemo m'y attendait.

« Monsieur Aronnax, me dit-il, êtes-vous prêt à partir ?

-- Je suis prêt.

-- Veuillez me suivre.

-- Et mes compagnons, capitaine ?

-- Ils sont prévenus et nous attendent.

-- N'allons-nous pas revêtir nos scaphandres ? demandai-je.

-- Pas encore. Je n'ai pas laissé le _Nautilus_ approcher de trop près cette côte, et nous sommes assez au large du banc de Manaar ; mais j'ai fait parer le canot qui nous conduira au point précis de débarquement et nous épargnera un assez long trajet. Il emporte nos appareils de plongeurs, que nous revêtirons au moment où commencera cette exploration sous-marine. »

Le capitaine Nemo me conduisit vers l'escalier central, dont les marches aboutissaient à la plate-forme.