Jules Verne

De sa main il tâtait la paroi verticale, et, quelques instants plus tard, il reprenait ainsi:

«Voilà les gneiss! voilà les micaschistes! Bon! à bientôt les terrains de l'époque de transition, et alors...»

Que voulait dire le professeur? Pouvait-il mesurer l'épaisseur de l'écorce terrestre suspendue sur notre tête? Possédait-il un moyen quelconque de faire ce calcul? Non. Le manomètre lui manquait, et nulle estime ne pouvait le suppléer.

Cependant la température s'accroissait dans une forte proportion et je me sentais baigné au milieu d'une atmosphère brûlante. Je ne pouvais la comparer qu'à la chaleur renvoyée par les fourneaux d'une fonderie à l'heure des coulées. Peu à peu, Hans, mon oncle et moi, nous avions dû quitter nos vestes et nos gilets; le moindre vêtement devenait une cause de malaise, pour ne pas dire de souffrances.

«Montons-nous donc vers un foyer incandescent? m'écriai-je, à un moment où la chaleur redoublait.

--Non, répondit mon oncle, c'est impossible! c'est impossible!

--Cependant, dis-je en tâtant la paroi, cette muraille est brûlante!»

Au moment où je prononçai ces paroles, ma main ayant effleuré l'eau, je dus la retirer au plus vite.

«L'eau est brûlante!» m'écriai-je.

Le professeur, cette fois, ne répondit que par un geste de colère.

Alors, une invincible épouvante s'empara de mon cerveau et ne le quitta plus. J'avais le sentiment d'une catastrophe prochaine, et telle que la plus audacieuse imagination n'aurait pu la concevoir. Une idée, d'abord vague, incertaine, se changeait en certitude dans mon esprit. Je la repoussai, mais elle revint avec obstination. Je n'osais la formuler. Cependant quelques observations involontaires déterminèrent ma conviction; à la lueur douteuse de la torche, je remarquai des mouvements désordonnés dans les couches granitiques; un phénomène allait évidemment se produire, dans lequel l'électricité jouait un rôle; puis cette chaleur excessive, cette eau bouillonnante!... Je résolus d'observer la boussole.

Elle était affolée!

XLIII

Oui, affolée! L'aiguille sautait d'un pôle à l'autre avec de brusques secousses, parcourait tous les points du cadran, et tournait, comme si elle eût été prise de vertige.

Je savais bien que, d'après les théories les plus acceptées, l'écorce minérale du globe, n'est jamais dans un état de repos absolu; les modifications amenées par la décomposition des matières internes, l'agitation provenant des grands courants liquides, l'action du magnétisme, tendent à l'ébranler incessamment, alors même que les êtres disséminés à sa surface ne soupçonnent pas son agitation. Ce phénomène ne m'aurait donc pas autrement effrayé, ou du moins il n'eût pas fait naître dans mon esprit une idée terrible.

Mais d'autres faits, certains détails _sui generis_, ne purent me tromper plus longtemps; les détonations se multipliaient avec une effrayante intensité; je ne pouvais les comparer qu'au bruit que feraient un grand nombre de chariots entraînés rapidement sur le pavé. C'était un tonnerre continu.

Puis, la boussole affolée, secouée par les phénomènes électriques, me confirmait dans mon opinion; l'écorce minérale menaçait de se rompre, les massifs granitiques de se rejoindre, la fissure de se combler, le vide de se remplir, et nous, pauvres atomes, nous allions être écrasés dans cette formidable étreinte.

«Mon oncle, mon oncle! m'écriai-je, nous sommes perdus!

--Quelle est celle nouvelle terreur? me répondit-il avec un calme surprenant. Qu'as-tu donc?

--Ce que j'ai! Observez ces murailles qui s'agitent, ce massif qui se disloque, cette chaleur torride, cette eau qui bouillonne, ces vapeurs qui s'épaississent, cette aiguille folle, tous les indices d'un tremblement de terre!»

Mon oncle secoua doucement la tête

«Un tremblement de terre? fit-il.

--Oui!

--Mon garçon, je crois que tu te trompes!

--Quoi! vous ne reconnaissez pas ces symptômes?

--D'un tremblement de terre? non! J'attends mieux que cela!

--Que voulez-vous dire?

--Une éruption, Axel.