Jules Verne

«Étonnant, magnifique, splendide! s'écria mon oncle. Voilà toute la flore de la seconde époque du monde, de l'époque de transition. Voilà ces humbles plantes de nos jardins qui se faisaient arbres aux premiers siècles du globe! Regarde, Axel, admire! Jamais botaniste ne s'est trouvé à pareille fête!

--Vous avez raison, mon oncle; la Providence semble avoir voulu conserver dans cette serre immense ces plantes antédiluviennes que la sagacité des savants a reconstruites avec tant de bonheur.

---Tu dis bien, mon garçon, c'est une serre; mais tu dirais mieux encore en ajoutant que c'est peut-être une ménagerie.

--Une ménagerie!

--Oui, sans doute. Vois cette poussière que nous foulons aux pieds, ces ossements épars sur le sol.

--Des ossements! m'écriai-je. Oui, des ossements d'animaux antédiluviens!»

Je m'étais précipité sur ces débris séculaires faits d'une substance minérale indestructible[1]. Je mettais sans hésiter un nom à ces os gigantesques qui ressemblaient à des troncs d'arbres desséchés.

[1] Phosphate de chaux.

«Voilà la mâchoire inférieure du Mastodonte, disais-je; voilà les molaires du Dinotherium, voilà un fémur qui ne peut avoir appartenu qu'au plus grand de ces animaux, au Mégatherium. Oui, c'est bien une ménagerie, car ces ossements n'ont certainement pas été transportés jusqu'ici par un cataclysme; les animaux auxquels ils appartiennent ont vécu sur les rivages de cette mer souterraine, à l'ombre de ces plantes arborescentes. Tenez, j'aperçois des squelettes entiers. Et cependant...

--Cependant? dit mon oncle.

--Je ne comprends pas la présence de pareils quadrupèdes dans cette caverne de granit.

--Pourquoi?

--Parce que la vie animale n'a existé sur la terre qu'aux périodes secondaires, lorsque le terrain sédimentaire a été formé par les alluvions, et a remplacé les roches incandescentes de l'époque primitive.

--Eh bien! Axel, il y a une réponse bien simple à faire à ton objection, c'est que ce terrain-ci est un terrain sédimentaire.

--Comment! à une pareille profondeur au-dessous de la surface de la terre?

--Sans doute, et ce fait peut s'expliquer géologiquement. À une certaine époque, la terre n'était formée que d'une écorce élastique, soumise à des mouvements alternatifs de haut et de bas, en vertu des lois de l'attraction. Il est probable que des affaissements du sol se sont produits, et qu'une partie des terrains sédimentaires a été entraînée au fond des gouffres subitement ouverts.

--Cela doit être. Mais, si des animaux antédiluviens ont vécu dans ces régions souterraines, qui nous dit que l'un de ces monstres n'erre pas encore au milieu de ces forêts sombres ou derrière ces rocs escarpés?»

A cette idée j'interrogeai, non sans effroi, les divers points de l'horizon; mais aucun être vivant n'apparaissait sur ces rivages déserts.

J'étais un peu fatigué: j'allai m'asseoir alors à l'extrémité d'un promontoire au pied duquel les flots venaient se briser avec fracas. De là mon regard embrassait toute cette baie formée par une échancrure de la côte. Au fond, un petit port s'y trouvait ménagé entre les roches pyramidales. Ses eaux calmes dormaient à l'abri du vent. Un brick et deux ou trois goélettes auraient pu y mouiller à l'aise. Je m'attendais presque à voir quelque navire sortant toutes voiles dehors et prenant le large sous la brise du sud.

Mais cette illusion se dissipa rapidement. Nous étions bien les seules créatures vivantes de ce monde souterrain. Par certaines accalmies du vent, un silence plus profond que les silences du désert, descendait sur les rocs arides et pesait à la surface de l'océan. Je cherchais alors à percer les brumes lointaines, à déchirer ce rideau jeté sur le fond mystérieux de l'horizon. Quelles demandes se pressaient sur mes lèvres? Où finissait cette mer? Où conduisait-elle? Pourrions-nous jamais en reconnaître les rivages opposés?

Mon oncle n'en doutait pas, pour son compte. Moi, je le désirais et je le craignais à la fois.

Après une heure passée dans la contemplation de ce merveilleux spectacle, nous reprîmes le chemin de la grève pour regagner la grotte, et ce fut sous l'empire des plus étranges pensées que je m'endormis d'un profond sommeil.