Jules Verne

«Courage, reprit mon oncle; ne parle-pas, écoute-moi. Nous t'avons cherché en remontant et en descendant la galerie. Impossible de te trouver. Ah! je t'ai bien pleuré, mon enfant! Enfin, te supposant toujours sur le chemin du Hans-bach, nous sommes redescendus en tirant des coups de fusil. Maintenant, si nos voix peuvent se réunir, pur effet d'acoustique! nos mains ne peuvent se toucher! Mais ne te désespère pas, Axel! C'est déjà quelque chose de s'entendre!»

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Pendant ce temps j'avais réfléchi. Un certain espoir, vague encore, me revenait au coeur. Tout d'abord, une chose m'importait à connaître. J'approchai donc mes lèvres de la muraille, et je dis:

«Mon oncle?»

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«Mon enfant?» me fut-il répondu après quelques instants.

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«II faut d'abord savoir quelle distance nous sépare.»

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«Cela est facile.»

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«Vous avez votre chronomètre?»

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«Oui.»

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«Eh bien, prenez-le. Prononcez mon nom en notant exactement la seconde où vous parlerez. Je le répéterai, et vous observerez également le moment précis auquel vous arrivera ma réponse.»

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«Bien, et la moitié du temps compris entre ma demande et ta réponse indiquera celui que ma voix emploie pour arriver jusqu'à toi.»

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«C'est cela, mon oncle»

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«Es-tu prêt?»

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«Oui.»

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«Eh bien, fais attention, je vais prononcer ton nom.»

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J'appliquai mon oreille sur la paroi, et dès que le mot «Axel» me parvint, je répondis immédiatement «Axel,» puis j'attendis.

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«Quarante secondes,» dit alors mon oncle; il s'est écoulé quarante secondes entre les deux mots; le son met donc vingt secondes à monter. Or, à mille vingt pieds par seconde, cela fait vingt mille quatre cents pieds, ou une lieue et demie et un huitième.»

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«Une lieue et demie!» murmurai-je.

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«Eh bien, cela se franchit, Axel!»

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«Mais faut-il monter ou descendre?»

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«Descendre, et voici pourquoi. Nous sommes arrivés à un vaste espace, auquel aboutissent un grand nombre de galeries. Celle que tu as suivie ne peut manquer de t'y conduire, car il semble que toutes ces fentes, ces fractures du globe rayonnent autour de l'immense caverne que nous occupons. Relève-toi donc et reprends ta route; marche, traîne-toi, s'il le faut, glisse sur les pentes rapides, et tu trouveras nos bras pour te recevoir au bout du chemin. En route, mon enfant, en route!»

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Ces paroles me ranimèrent.

«Adieu, mon oncle, m'écriai-je; je pars. Nos voix ne pourront plus communiquer entre elles, du moment que j'aurai quitté cette place! Adieu donc!»

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«Au revoir, Axel! au revoir!»

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Telles furent les dernières paroles que j'entendis. Cette surprenante conversation faite au travers de la masse terrestre, échangée à plus d'une lieue de distance, se termina sur ces paroles d'espoir! Je fis une prière de reconnaissance à Dieu, car il m'avait conduit parmi ces immensités sombres au seul point peut-être où la voix de mes compagnons pouvait me parvenir.

Cet effet d'acoustique très étonnant s'expliquait facilement par les seules lois physiques; il provenait de la forme du couloir et de la conductibilité de la roche; il y a bien des exemples de cette propagation de sons non perceptibles aux espaces intermédiaires. Je me souvins qu'en maint endroit ce phénomène fut observé, entre autres, dans la galerie intérieure du dôme de Saint-Paul à Londres, et surtout au milieu de curieuses cavernes de Sicile, ces latomies situées près de Syracuse, dont la plus merveilleuse en ce genre est connue sous le nom d'Oreille de Denys.