Jules Verne

Ah! quelle jouissance! quelle incomparable volupté! Qu'était cette eau? D'où venait-elle? Peu importait. C'était de l'eau, et, quoique chaude encore, elle ramenait au coeur la vie prête à s'échapper. Je buvais sans m'arrêter, sans goûter même.

Ce ne fut qu'après une minute de délectation que je m'écriai:

«Eh! mais c'est de l'eau ferrugineuse!

--Excellente pour l'estomac, répliqua mon oncle, et d'une haute minéralisation! Voilà un voyage qui vaudra celui de Spa ou de Toeplitz!

--Ah! que c'est bon!

--Je le crois bien, une eau puisée à deux lieues sous terre; elle a un goût d'encre qui n'a rien de désagréable. Une fameuse ressource que Hans nous a procurée là! Aussi je propose de donner son nom à ce ruisseau salutaire.

--Bien!» m'écriai-je.

Et le nom de «Hans-bach» fut aussitôt adopté. Hans n'en fut pas plus fier. Après s'être modérément rafraîchi, il s'accota dans un coin avec son calme accoutumé.

«Maintenant, dis-je, il ne faudrait pas laisser perdre cette eau.

--A quoi bon? répondit mon oncle, je soupçonne la source d'être intarissable.

--Qu'importe! remplissons l'outre et les gourdes, puis nous essayerons de boucher l'ouverture.»

Mon conseil fut suivi. Hans, au moyen d'éclats de granit et d'étoupe, essaya d'obstruer l'entaille faite à la paroi. Ce ne fut pas chose facile. On se brûlait les mains sans y parvenir; la pression était trop considérable, et nos efforts demeurèrent infructueux.

«Il est évident, dis-je, que les nappes supérieures de ce cours d'eau sont situées à une grande hauteur, à en juger par la force du jet.

--Cela n'est pas douteux, répliqua mon oncle, il y a là mille atmosphères de pression, si cette colonne d'eau a trente-deux mille pieds de hauteur. Mais il me vient une idée.

--Laquelle?

--Pourquoi nous entêter à boucher cette ouverture?

-Mais, parce que...»

J'aurais été embarrassé de trouver une bonne raison.

«Quand nos gourdes seront vides, sommes-nous assurés de trouver à les remplir?

--Non, évidemment.

--Eh bien, laissons couler cette eau: elle descendra naturellement et guidera ceux qu'elle rafraîchira en route!

--Voilà qui est bien imaginé! m'écriai-je, et avec ce ruisseau pour compagnon, il n'y a plus aucune raison pour ne pas réussir, dans nos projets.

--Ah! tu y viens, mon garçon, dit le professeur en riant.

--Je fais mieux que d'y venir, j'y suis.

--Un instant! Commençons par prendre quelques heures de repos.»

J'oubliais vraiment qu'il fit nuit. Le chronomètre se chargea de me l'apprendre. Bientôt chacun de nous, suffisamment restauré et rafraîchi, s'endormit d'un profond sommeil.

XXIV

Le lendemain nous avions déjà oublié nos douleurs passées. Je m'étonnai tout d'abord de n'avoir plus soif, et j'en demandai la raison. Le ruisseau qui coulait à mes pieds en murmurant se chargea de me répondre.

On déjeuna et l'on but de cette excellente eau ferrugineuse. Je me sentais tout ragaillardi et décidé à aller loin. Pourquoi un homme convaincu comme mon oncle ne réussirait-il pas, avec un guide industrieux comme Hans, et un neveu «déterminé» comme moi? Voilà les belles idées qui se glissaient dans mon cerveau! On m'eût proposé de remonter à la cime du Sneffels que j'aurais refusé avec indignation.

Mais il n'était heureusement question que de descendre.

«Partons!» m'écriai-je en éveillant par mes accents enthousiastes les vieux échos du globe.

La marche fut reprise le jeudi à huit heures du matin. Le couloir de granit, se contournant en sinueux détours, présentait des coudes inattendus, et affectait l'imbroglio d'un labyrinthe; mais, en somme, sa direction principale était toujours le sud-est. Mon oncle ne cessait de consulter avec le plus grand soin sa boussole, pour se rendre compte du chemin parcouru.

La galerie s'enfonçait presque horizontalement, avec deux pouces de pente par toise, tout au plus. Le ruisseau courait sans précipitation en murmurant sous nos pieds. Je le comparais à quelque génie familier qui nous guidait à travers la terre, et de la main je caressais la tiède naïade dont les chants accompagnaient nos pas.