Descendons, et nous saurons à quoi nous en tenir. D'ailleurs je meurs de faim et de soif.»
Décidément le professeur n'était point un esprit contemplatif. Pour mon compte, oubliant le besoin et les fatigues, je serais resté à cette place pendant de longues heures encore, mais il fallut suivre mes compagnons.
Le talus du volcan offrait des pentes très raides; nous glissions dans de véritables fondrières de cendres, évitant les ruisseaux de lave qui s'allongeaient comme des serpents de feu. Tout en descendant, je causais avec volubilité, car mon imagination était trop remplie pour ne point s'en aller en paroles.
«Nous sommes en Asie, m'écriai-je, sur les côtes de l'Inde, dans les îles Malaises, en pleine Océanie! Nous avons traversé la moitié du globe pour aboutir aux antipodes de l'Europe.
--Mais la boussole? répondit mon oncle.
--Oui! la boussole! disais-je d'un air embarrassé. A l'en croire, nous avons toujours marché au nord.
--Elle a donc menti?
--Oh! menti!
--A moins que ceci ne soit le pôle nord!
--Le pôle! non; mais...»
II y avait là un fait inexplicable. Je ne savais qu'imaginer.
Cependant nous nous rapprochions de cette verdure qui faisait plaisir à voir. La faim me tourmentait et la soif aussi. Heureusement, après deux heures de marche, une jolie campagne s'offrit à nos regards, entièrement couverte d'oliviers, de grenadiers et de vignes qui avaient l'air d'appartenir à tout le monde. D'ailleurs, dans notre dénûment, nous n'étions point gens à y regarder de si près. Quelle jouissance ce fut de presser ces fruits savoureux sur nos lèvres et de mordre à pleines grappes dans ces vignes vermeilles! Non loin, dans l'herbe, à l'ombre délicieuse des arbres, je découvris une source d'eau fraîche, où notre figure et nos mains se plongèrent voluptueusement.
Pendant que chacun s'abandonnait ainsi à toutes les douceurs du repos, un enfant apparut entre deux touffes d'oliviers.
«Ah! m'écriai-je, un habitant de cette heureuse contrée!»
C'était une espèce de petit pauvre, très misérablement vêtu, assez souffreteux, et que notre aspect parut effrayer beaucoup; en effet, demi-nus, avec nos barbes incultes, nous avions fort mauvaise mine, et, à moins que ce pays ne fût un pays de voleurs, nous étions faite de manière à effrayer ses habitants.
Au moment ou le gamin allait prendre la fuite, Hans courut après lui et le ramena, malgré ses cris et ses coups de pied.
Mon oncle commença par le rassurer de son mieux et lui dit en bon allemand:
«Quel est le nom de cette montagne, mon petit ami?»
L'enfant ne répondit pas.
«Bon, fit mon oncle, nous ne sommes point en Allemagne.»
Et il redit la même demande en anglais.
L'enfant ne répondit pas davantage. J'étais très intrigué.
«Est-il donc muet?» s'écria le professeur, qui, très fier de son polyglottisme, recommença la même demande en français.
Même silence de l'enfant.
«Alors essayons de l'italien», reprit mon oncle; et il dit en cette langue:
«_Dove noi siamo?_
--Oui! où sommes-nous?» répétai-je avec impatience.
L'enfant de ne point répondre.
«Ah ça! parleras-tu? s'écria mon oncle, que la colère commençait à gagner, et qui secoua l'enfant par les oreilles. _Come si noma, questa isola?_
--Stromboli,» répondit le petit pâtre, qui s'échappa des mains de Hans et gagna la plaine à travers les oliviers.
Nous ne pensions guère à lui! Le Stromboli! Quel effet produisit sur mon imagination ce nom inattendu! Nous étions en pleine Méditerranée, au milieu de l'archipel éolien de mythologique mémoire, dans l'ancienne Strongyle, ou Éole tenait à la chaîne les vents et les tempêtes. Et ces montagnes bleues qui s'arrondissaient au levant, c'étaient les montagnes de la Calabre! Et ce volcan dressé à l'horizon du sud, l'Etna, le farouche Etna lui-même.
«Stromboli! le Stromboli!» répétai-je.
Mon oncle m'accompagnait de ses gestes et de ses paroles. Nous avions l'air de chanter un choeur!
Ah! quel voyage! Quel merveilleux voyage! Entrés par un volcan, nous étions sortis par un autre, et cet autre était situé à plus de douze cents lieues du Sneffels, de cet aride pays de l'Islande jeté aux confins du monde! Les hasards de cette expédition nous avaient transportés au sein des plus harmonieuses contrées de la terre! Nous avions abandonné la région des neiges éternelles pour celle de la verdure infinie et laissé au-dessus de nos têtes le brouillard grisâtre des zones glacées pour revenir au ciel azuré de la Sicile!
Après un délicieux repas composé de fruits et d'eau fraîche, nous nous remîmes en route pour gagner le port de Stromboli.