Maston, une erreur de trois zéros au début de ses calculs, qui avait produit ce résultat humiliant pour la nouvelle Société!
Mais si ses collègues du Gun-Club se montrèrent furieux contre lui, s'ils l'accablèrent de leurs malédictions, il se fit dans le public une réaction en faveur du pauvre homme. Après tout, c'était cette faute qui avait été cause de tout le mal ou plutôt de tout le bien, puisqu'elle avait épargné au monde la plus effroyable des catastrophes.
Il s'ensuit donc que les compliments arrivèrent de toutes parts, avec des millions de lettres, qui félicitaient J.-T. Maston de s'être trompé de trois zéros!
J.-T. Maston, plus déconfit, plus estomaqué que jamais, ne voulut rien entendre du formidable hurrah que la Terre poussait en son honneur. Le président Barbicane, le capitaine Nicholl, Tom Hunter aux jambes de bois, le colonel Blomsberry, le fringant Bilsby et leurs collègues ne lui pardonneraient jamais…
Du moins, il lui restait Mrs Evangelina Scorbitt. Cette excellente femme ne pouvait lui en vouloir.
Avant tout, J.-T. Maston avait tenu à refaire ses calculs, se refusant à admettre qu'il eût été distrait à ce point.
Cela était pourtant. L'ingénieur Alcide Pierdeux ne s'était pas trompé. Et voilà pourquoi, ayant reconnu l'erreur au dernier moment, lorsqu'il n'avait plus le temps de rassurer ses semblables, cet original gardait un calme si parfait au milieu des transes générales. Voilà pourquoi il portait un toast au vieux Monde, à l'heure où partait le coup du Kilimandjaro.
Oui! Trois zéros oubliés dans la mesure de la circonférence terrestre!…
Subitement alors le souvenir revint à J.-T. Maston. C'était au début de son travail, lorsqu'il venait de se renfermer dans son cabinet de Balistic-Cottage. Il avait parfaitement écrit le nombre 40 000 000 sur le tableau noir…
À ce moment, sonnerie précipitée du timbre téléphonique… J.-T. Maston se dirige vers la plaque… Il échange quelques mots avec Mrs Evangélina Scorbitt… Voilà qu'un coup de foudre le renverse et culbute son tableau… Il se relève… Il commence à retracer le nombre à demi effacé dans la chute… Il avait à peine écrit les chiffres 40 000… quand le timbre résonne une seconde fois… Et, lorsqu'il se remet au travail, il oublie les trois derniers zéros du nombre qui mesure la circonférence terrestre!
Eh bien! tout cela, c'était la faute à Mrs Evangélina Scorbitt! Si elle ne l'eût pas dérangé, peut-être n'aurait-il pas reçu le contrecoup de la décharge électrique! Peut-être le tonnerre ne lui aurait-il pas joué un de ces tours pendables, qui suffisent à compromettre toute une existence de bons et honnêtes calculs!
Quelle secousse reçut la malheureuse femme, lorsque J.- T. Maston dut lui dire dans quelles circonstances s'était produite l'erreur!… Oui!… elle était la cause de ce désastre!… C'était par elle que J.-T. Maston se voyait déshonoré pour les longues années qui lui restaient à vivre, car on mourait généralement centenaire dans la vénérable association du Gun-club!
Et, après cet entretien, J.-T. Maston avait fui l'hôtel de New-Park. Il était rentré à Balistic-Cottage. Il arpentait son cabinet de travail, se répétant :
« Maintenant je ne suis plus bon à rien en ce monde!…
- Pas même à vous marier?… » dit une voix que l'émotion rendait déchirante.
C'était Mrs Evangélina Scorbitt. Éplorée, éperdue, elle avait suivi J.-T. Maston…
« Cher Maston!… dit-elle.
- Eh bien! oui!… Mais à une condition… c'est que je ne ferai plus jamais de mathématiques!
- Ami, je les ai en horreur! » répondit l'excellente veuve.
Et le secrétaire du Gun-Club fit de Mrs Evangélina Scorbitt Mrs J.-T. Maston.
Quant à la note d'Alcide Pierdeux, quel honneur, quelle célébrité elle apporta à cet ingénieur et aussi à « l'École » en sa personne! Traduite dans toutes les langues, insérée dans tous les journaux, cette note répandit son nom à travers le monde entier. Il arriva donc que le père de la jolie Provençale, qui lui avait refusé la main de sa fille, « parce qu'il était trop savant, » lut ladite note dans le _Petit Marseillais_.