Ceux-ci devaient diriger les dix mille nègres, mis à leur disposition par Bâli-Bâli, auxquels incombait la tâche de fabriquer le canon monstre et son non moins monstrueux projectile.
Deux semaines après l'arrivée du président Barbicane et de son collègue au Wamasai, trois vastes chantiers étaient établis à la base méridionale du Kilimandjaro, l'un pour la fonderie du canon, le second pour la fonderie du projectile, le troisième pour la fabrication de la méli-mélonite.
Et d'abord, comment le président Barbicane avait-il résolu ce problème de fondre un canon de dimensions aussi colossales? On va le voir, et l'on comprendra, en même temps, que la dernière chance de salut, tirée de la difficulté d'établir un pareil engin, échappait aux habitants des deux Mondes.
En effet, fondre un canon égalant un million de fois en volume le canon de vingt-sept, c'eût été un travail au-dessus des forces humaines. On a déjà de sérieuses difficultés pour fabriquer les pièces de quarante-deux centimètres qui lancent des projectiles de sept cent quatre-vingts kilos avec deux cent soixante-quatorze kilogrammes de poudre. Aussi Barbicane et Nicholl n'y avaient-ils point songé. Ce n'était pas un canon, pas même un mortier, qu'ils prétendaient faire, mais tout simplement une galerie percée dans le massif résistant du Kilimandjaro, un trou de mine, si l'on veut.
Évidemment, ce trou de mine, cette énorme fougasse, pouvait remplacer un canon de métal, une Columbiad gigantesque, dont la fabrication eût été aussi coûteuse que difficile, et à laquelle il aurait fallu donner une épaisseur invraisemblable pour prévenir toute chance d'explosion. Barbicane and Co. avait toujours eu la pensée d'opérer de cette façon, et, si le carnet de J.-T. Maston mentionnait un canon, c'est que c'était le canon de vingt-sept qui avait été pris pour base de ses calculs.
En conséquence un emplacement fut de prime abord choisi à une hauteur de cent pieds sur le revers méridional de la chaîne, au bas de laquelle se développent des plaines à perte de vue. Rien ne pourrait faire obstacle au projectile, quand il s'élancerait hors de cette « âme » forée dans le massif du Kilimandjaro.
Ce fut avec une précision extrême, et non sans un rude travail, que l'on creusa cette galerie. Mais Barbicane put aisément construire des perforatrices, qui sont des machines relativement simples, et les actionner au moyen de l'air comprimé par les puissantes chutes d'eau de la montagne. Ensuite, les trous percés par les forets des perforatrices furent chargés de méli-mélonite. Et il ne fallait pas moins que ce violent explosif pour faire éclater la roche, car c'était une sorte de syénite extrêmement dure, formée de feldspath orthose et d'amphibole hornblende. Circonstance favorable, au surplus, puisque cette roche aurait à résister à l'effroyable pression développée par l'expansion des gaz. Mais la hauteur et l'épaisseur de la chaîne du Kilimandjaro suffisaient à rassurer contre tout lézardement ou craquement extérieur.
Bref, les milliers de travailleurs, conduits par les dix contremaîtres, sous la haute direction du président Barbicane, s'appliquèrent avec tant de zèle, avec tant d'intelligence, que l'oeuvre fut menée à bonne fin en moins de six mois.
La galerie mesurait vingt-sept mètres de diamètre sur six cents mètres de profondeur. Comme il importait que le projectile pût glisser sur une paroi parfaitement lisse, sans rien laisser perdre des gaz de la déflagration, l'intérieur en fut blindé avec un étui de fonte parfaitement alésé.
En réalité, ce travail était autrement considérable que celui de la célèbre Columbiad de Moon-City, qui avait envoyé le projectile d'aluminium autour de la Lune. Mais qu'y a-t-il donc d'impossible aux ingénieurs du monde moderne?
Tandis que le forage s'accomplissait au flanc du Kilimandjaro, les ouvriers ne chômaient pas au second chantier. En même temps que l'on construisait la carapace métallique, on s'occupait de fabriquer l'énorme projectile.
Rien que pour cette fabrication, il s'agissait d'obtenir une masse de fonte cylindro-conique, pesant cent quatre-vingt millions de kilogrammes, soit cent quatre-vingt mille tonnes.