Donc, la grande machine est de nature à produire la secousse demandée. Mais, nom d'une intégrale! cette secousse sera-t-elle suffisante pour faire basculer la Terre? Eh! c'est ce que les équations de cet animal de J.-T. Maston « démonstrandent » péremptoirement, il faut bien le reconnaître! »
En effet, Alcide Pierdeux ne pouvait qu'admirer les ingénieux calculs du secrétaire du Gun-Club, communiqués par les membres de la Commission d'enquête à ceux des savants qui étaient en état de les comprendre. Et Alcide Pierdeux, qui lisait l'algèbre comme on lit un journal, trouvait à cette lecture un charme inexprimable.
Mais, si le chambardement avait lieu, que de catastrophes accumulées à la surface du sphéroïde! Que de cataclysmes, cités renversées, montagnes ébranlées, habitants détruits par millions, masses liquides projetées hors de leur lit et provoquant d'épouvantables sinistres!
Ce serait comme un tremblement de terre d'une incomparable violence.
« Si encore, grommelait Alcide Pierdeux, si encore la sacrée poudre du capitaine Nicholl était moins forte, on pourrait espérer que le projectile viendrait de nouveau choquer la Terre, soit en avant du point de tir, soit même en arrière, après avoir fait le tour du globe. Et alors, tout serait remis en place au bout d'un temps relativement court non sans avoir provoqué quelques grands désastres cependant. Mais va te faire lanlaire! Grâce à leur méli-mélonite, le boulet décrira une demi branche d'hyperbole, et il ne viendra plus demander pardon à la Terre de l'avoir dérangée, en la remettant en place! »
Et Alcide Pierdeux gesticulait comme un appareil sémaphorique, au risque de tout briser dans un rayon de deux mètres.
Puis, il se répétait :
« Si, au moins, le lieu de tir était connu, j'aurais vite fait d'établir sur quels grands cercles terrestres la dénivellation serait nulle, et aussi, les points où elle atteindrait son maximum. On pourrait prévenir les gens de déménager à temps, avant que leurs maisons ou leurs villes ne leur fussent tombées sur la caboche. Mais comment le savoir? »
Après quoi, arrondissant sa main au-dessus des rares cheveux qui lui garnissaient le crâne :
« Eh! j'y pense, ajoutait-il, les conséquences de la secousse peuvent être plus compliquées qu'on ne l'imagine. Pourquoi les volcans ne profiteraient-ils pas de l'occasion pour se livrer à des éruptions échevelées, pour vomir, comme un passager qui a le mal de mer, les matières déplacées dans leurs entrailles? Pourquoi une partie des océans surélevés ne se précipiterait-elle pas dans leurs cratères? Le diable m'emporte! il peut survenir des explosions qui feront sauter la machine tellurienne! Ah! ce satané Maston, qui s'obstine dans son mutisme! Le voyez-vous, jonglant avec notre boule et faisant des effets de finesse sur le billard de l'Univers! »
Ainsi raisonnait Alcide Pierdeux. Bientôt, ces effrayantes hypothèses furent reprises et discutées par les journaux des deux Mondes. Auprès du bouleversement qui résulterait de l'opération de Barbicane and Co., qu'étaient ces trombes, ces raz de marée, ces déluges, qui, de loin en loin, dévastent quelque étroite portion de la Terre? De telles catastrophes ne sont que partielles! Quelques milliers d'habitants disparaissent, et c'est à peine si les innombrables survivants se sentent troublés dans leur quiétude! Aussi, à mesure que s'approchait la date fatale, l'épouvante gagnait-elle les plus braves. Les prédicateurs avaient beau jeu pour prédire la fin du monde. On se serait cru à cette effrayante période de l'an 1000, alors que les vivants s'imaginèrent qu'ils allaient être précipités dans l'empire des morts.
Que l'on se souvienne de ce qui s'était passé à cette époque. D'après un passage de l'Apocalypse, les populations furent fondées à croire que le jour du jugement dernier était proche. Elles attendaient les signes de colère, prédits par l'Écriture. Le fils de perdition, l'Antéchrist, allait se révéler.
« Dans la dernière année du Xème siècle, raconte H. Martin, tout était interrompu, plaisirs, affaires, intérêts, tout, quasi jusqu'aux travaux de la campagne.