Jules Verne

Ils sont partis depuis plus de deux mois. Où sont-ils allés?… Très certainement, en cet endroit inconnu du globe, où tout doit être disposé pour tenter leur opération.

« Or, quel est cet endroit? On l'ignore, et, par conséquent, il est impossible de se mettre à la poursuite des audacieux « malfaiteurs » (sic), qui prétendent bouleverser le monde sous prétexte d'exploiter à leur profit des houillères nouvelles.

« Évidemment, que ce lieu fût indiqué sur le carnet de J.- T. Maston, à la dernière page qui résumait ses travaux, ce n'est que trop certain. Mais cette dernière page a été déchiré sous la dent du complice d'Impey Barbicane, et ce complice, incarcéré maintenant dans la prison de Baltimore, se refuse absolument à parler.

« Telle est donc la situation. Si le président Barbicane parvient à fabriquer son canon monstre et son projectile, en un mot, si son opération est faite dans les conditions sus- énoncées, il modifiera l'ancien axe, et c'est dans six mois que la Terre sera soumise aux conséquences de cette « impardonnable tentative » (sic).

« En effet, une date a été choisie pour que le tir donne son plein et entier effort, date à laquelle le choc, imprimé à l'ellipsoïde terrestre, produira son maximum d'intensité.

« C'est le 22 septembre, douze heures après le passage du Soleil au méridien du lieu x.

« Ces circonstances étant connues : 1° que le tir s'opérera avec un canon un million de fois gros comme le canon de vingt-sept; 2° que ce canon sera chargé d'un projectile de cent quatre-vingt mille tonnes; 3° que ce projectile sera animé d'une vitesse initiale de deux mille huit cents kilomètres; 4° que le coup sera tiré le 22 septembre, douze heures après le passage du Soleil au méridien du lieu; ­ peut- on déduire de ces circonstances quel est le lieu x où se fera l'opération?

« Évidemment non! ont répondu les commissaires- enquêteurs.

« Effectivement, rien ne peut permettre de calculer quel sera le point x, puisque, dans le travail de J. T. Maston, rien n'indique en quel endroit du globe passera le nouvel axe, en d'autres termes, en quel endroit seront situés les nouveaux Pôles de la Terre. À 23°28' de l'ancien, soit! Mais sur quel méridien, c'est ce qu'il est absolument impossible d'établir.

« Donc, impossible de reconnaître quels seront les territoires abaissés ou surélevés, par suite de la dénivellation des océans, quels seront les continents transformés en mers et les mers transformés en continents.

« Et cependant, cette dénivellation sera très considérable, à s'en rapporter aux calculs de J.-T. Maston. Après le choc, la surface de la mer prendra la forme d'un ellipsoïde de révolution autour du nouvel axe polaire, et le niveau de la couche liquide changera sur presque tous les points du globe.

« En effet, l'intersection du niveau de la mer ancien et du niveau de la mer nouveau ­ deux surfaces de révolution égales dont les axes se rencontrent ­ se composera de deux courbes planes, dont les deux plans passeront par une perpendiculaire au plan des deux axes polaires, et respectivement par les deux bissectrices de l'angle des deux axes polaires. (_Texte même relevé sur le carnet du calculateur_.)

« Il suit de là que les maxima de dénivellation peuvent atteindre une surélévation ou un abaissement de 8415 mètres par rapport au niveau ancien, et qu'en certains points du globe, divers territoires seront abaissés ou surélevés de cette quantité par rapport au nouveau. Cette quantité diminuera graduellement jusqu'aux lignes de démarcation partageant le globe en quatre segments, sur la limite desquels la dénivellation deviendra nulle.

« Il est même à remarquer que l'ancien Pôle sera lui- même immergé sous plus de 3000 mètres d'eau, puisqu'il se trouve à une moindre distance du centre de la Terre par suite de l'aplatissement du sphéroïde. Donc, le domaine acquis par la _North Polar Practical Association_ devrait être noyé et par conséquent inexploitable. Mais le cas a été prévu par Barbicane and Co. et des considérations géographiques, déduites des dernières découvertes, permettent de conclure à l'existence, au Pôle arctique, d'un plateau dont l'altitude est supérieure à 3000 mètres.