Jules Verne

Même grandiose de facture pour ses < , pour ses > , pour ses >< , dessinés dans des proportions extraordinaires. Quant au signe v , qui indique la racine d'un nombre ou d'une quantité, c'était son triomphe, et, lorsqu'il le complétait de la barre horizontale sous cette forme :

v¯¯¯¯¯

il semblait que ce bras indicateur, dépassant la limite du tableau noir, menaçait le monde entier de le soumettre à ses équations furibondes!

Et ne croyez pas que l'intelligence mathématiques de J.-T. Maston se bornât à l'horizon de l'algèbre élémentaire! Non! Ni le calcul différentiel, ni le calcul intégral, ni le calcul des variations, ne lui étaient étrangers, et c'est d'une main sûre qu'il traçait ce fameux signe de l'intégration, cette lettre, effrayante dans sa simplicité,

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somme d'une infinité d'éléments infiniment petits!

Il en était de même du signe S , qui représente la somme d'un nombre fini d'éléments finis, du signe 8 par lequel les mathématiciens désignent l'infini, et de tous les symboles mystérieux qu'emploie cette langue incompréhensible du commun des mortels.

Enfin, cet homme étonnant eût été capable de s'élever jusqu'aux derniers échelons des hautes mathématiques.

Voilà ce qu'était J.-T. Maston! Voilà pourquoi ses collègues pouvaient avoir toute confiance, lorsqu'il se chargeait de résoudre les plus abracadabrants calculs posés par leurs audacieuses cervelles! Voilà ce qui avait amené le Gun-Club à lui confier le problème d'un projectile à lancer de la Terre à la Lune! Enfin, voilà pourquoi Mrs. Evangélina Scorbitt, enivrée de sa gloire, avait pour lui une admiration qui confinait à l'amour.

Du reste, dans le cas considéré ­ c'est à dire la résolution de ce problème de la conquête du Pôle boréal ­ J.-T. Maston n'aurait point à s'envoler dans les régions sublimes de l'analyse. Pour permettre aux nouveaux concessionnaires du domaine arctique de l'exploiter, le secrétaire du Gun-Club ne se trouverait qu'en face d'un problème de mécanique à résoudre, ­ problème compliqué sans doute, qui exigerait des formules ingénieuses, nouvelles peut-être, mais dont il se tirerait à son avantage.

Oui! on pouvait se fier à J.-T. Maston, bien que la moindre faute eût été de nature à entraîner la perte de millions. Jamais, depuis l'âge où sa tête d'enfant s'était exercée aux premières notions de l'arithmétique, il n'avait commis une erreur ­ même d'un millième de micron, [Note 13: Le micron ­ mesure usuelle en optique ­ égale un millième de millimètre.] lorsque ses calculs avaient pour objet la mesure d'une longueur. S'il se fût trompé rien que d'une vingtième décimale, il n'aurait pas hésité à faire sauter son crâne de gutta-percha.

Il importait d'insister sur cette aptitude si remarquable de J.-T. Maston. Cela est fait. Maintenant, il s'agit de le montrer en fonction, et, à ce propos, il est indispensable de revenir à quelques semaines en arrière.

C'était un mois environ avant la publication du document adressé aux habitants des deux Mondes, que J.-T. Maston s'était chargé de chiffrer les éléments du projet dont il avait suggéré à ses collègues les merveilleuses conséquences.

Depuis nombre d'années, J.-T. Maston demeurait au numéro 179 de Franklin-street, une des rues les plus tranquilles de Baltimore, loin du quartier des affaires, auxquelles il n'entendait rien, loin du bruit de la foule qui lui répugnait.

Là, il occupait une modeste habitation, connue sous le nom de Balistic-Cottage, n'ayant pour toute fortune que sa retraite d'officier d'artillerie et le traitement qu'il touchait comme secrétaire du Gun-Cub. Il vivait seul, servi par son nègre Fire-Fire ­ Feu-Feu! ­ sobriquet digne du valet d'un artilleur. Ce nègre n'était pas un serviteur, c'était un servant, un premier servant, et il servait son maître comme il eût servi sa pièce.

J.-T. Maston était un célibataire convaincu, ayant cette idée que le célibat est encore la seule situation qui soit acceptable en ce monde sublunaire. Il connaissait le proverbe slave : « Une femme tire plus avec un seul cheveu que quatre boeufs à la charrue! » et il se défiait.