Ici, l'audacieux Américain, aidé de tous les membres du Gun-Club, la pioche à la main, creusait un tunnel sous-marin à travers la masse des glaces immergées depuis les premières banquises jusqu'au quatre-vingt-dixième degré de latitude septentrionale, afin de déboucher à la pointe même de l'axe.
La, Impey Barbicane, accompagné de J.-T. Maston très ressemblant et du capitaine Nicholl, descendait en ballon sur ce lieu tant désiré, et, après une tentative effrayante, au prix de mille dangers, tous trois conquéraient, un morceau de charbon… pesant une demi-livre. C'était tout ce que contenait le fameux gisement des régions circumpolaires.
On « croquait » aussi, dans un numéro du _Punch_, journal anglais, J.-T. Maston, non moins visé que son chef par les caricaturistes. Après avoir été saisi en vertu de l'attraction du Pôle magnétique, le secrétaire du Gun-Club était irrésistiblement rivé au sol par son crochet de métal.
Mentionnons, à ce propos, que le célèbre calculateur était d'un tempérament trop vif pour prendre par son côté risible cette plaisanterie qui l'attaquait dans sa conformation personnelle. Il en fut extrêmement indigné, et Mrs Evangélina Scorbitt, on l'imagine aisément, ne fut pas la dernière à partager sa juste indignation.
Un antre croquis, dans la _Lanterne magique_, de Bruxelles, représentait, Impey Barbicane et les membres du Conseil d'administration de la Société, opérant au milieu des flammes, comme autant d'incombustibles salamandre. Pour fondre les glaces de l'océan Paléocrystique, n'avaient-ils pas eu l'idée de répandre à sa surface toute une mer d'alcool, puis d'enflammer cette mer ce qui convertissait le bassin polaire en un immense bol de punch? Et, jouant sur ce mot punch, le dessinateur belge n'avait-il pas poussé l'irrévérence jusqu'à représenter le président du Gun-Club sous la figure d'un ridicule polichinelle? [Note 12: _Punch_ en anglais signifie polichinelle.]
Mais, de toutes ces caricatures, celle qui obtint le plus de succès fut publiée par le journal français _Charivari_ sous la signature du dessinateur Stop. Dans un estomac de baleine, confortablement meublé et capitonné, Impey Barbicane et J.- T. Maston, attablés, jouaient aux échecs, en attendant leur arrivée à bon bort. Nouveaux Jonas, le président et son secrétaire n'avaient pas hésité à se faire avaler par un énorme mammifère marin, et c'était par ce nouveau mode de locomotion, après avoir passé sous les banquises, qu'ils comptaient atteindre l'inaccessible Pôle du globe.
Au fond, le flegmatique directeur de la Société nouvelle s'inquiétait peu de cette intempérance de plume et de crayon. Il laissait dire, chanter, parodier, caricaturer. Il n'en poursuivait pas moins son oeuvre.
En effet, après décision prise en conseil, la Société, définitivement maîtresse d'exploiter le domaine polaire dont la concession lui avait été attribuée par le gouvernement fédéral, venait de faire appel à une souscription publique pour la somme de quinze millions de dollars. Les actions émises à cent dollars devaient être libérées par un unique versement. Eh bien! tel était le crédit de Barbicane and Co que les souscripteurs affluèrent. Mais il faut bien le dire, ils appartenaient en presque totalité aux trente-huit États de la Confédération.
« Tant mieux! s'écrièrent les partisans de la _North Polar Practical Association_. L'oeuvre n'en sera que plus américaine! »
Bref, la « surface » que présentait Barbicane and Co était si bien établie, les spéculateurs croyaient avec tant de ténacité à la réalisation de ses promesses industrielles, ils admettaient si imperturbablement l'existence des houillères du Pôle boréal et la possibilité de les exploiter, que le capital de la nouvelle Société fut souscrit trois fois.
Les souscriptions durent donc être réduites des deux tiers, et, à la date du 16 décembre, le capital social fut définitivement constitué par un encaisse de quinze millions de dollars.
C'était environ trois fois plus que la somme souscrite au profit du Gun-Club, lors de la grande expérience du projectile envoyé de la Terre à la Lune.