Jules Verne

Robur voulait-il donc l'achever ?... Non!... Il voulait secourir, il voulait sauver son équipage!

Et telle fut l'habileté de sa manœuvre que l'aéronaute et son aide purent s'élancer sur la plate-forme de l'aéronef.

Uncle Prudent et Phil Evans allaient-ils donc refuser les secours de Robur, refuser d'être sauvés par lui? Ils en étaient bien capables! Mais les gens de l'ingénieur se jetèrent sur eux, et, par force, les firent passer du _Go a head_ sur l'_Albatros._

Puis, l'aéronef se dégagea et demeura stationnaire, pendant que le ballon, entièrement vide de gaz, tombait sur les arbres de la clairière, où il resta suspendu comme une gigantesque loque.

Un effroyable silence régnait à terre. Il semblait que la vie eût été suspendue dans toutes les poitrines. Bien des yeux s'étaient fermés pour ne rien voir de la suprême catastrophe.

Uncle Prudent et Phil Evans étaient donc redevenus les prisonniers de l'ingénieur Robur. Puisqu'il les avait repris, allait-il les entraîner de nouveau dans l'espace, là ou il était impossible de le suivre?

On pouvait le croire.

Cependant, au lieu de remonter dans les airs, l'_Albatros_ continuait de s'abaisser vers le sol. Voulait-il atterrir? On le pensa, et la foule s'écarta pour lui faire place au milieu de la clairière.

L'émotion était portée à son maximum d'intensité.

L'_Albatros_ s'arrêta à deux mètres de terre. Alors, au milieu du profond silence, la voix de l'ingénieur se fit entendre.

« Citoyens des Etats-Unis, dit-il, le président et le secrétaire du Weldon-Institute sont de nouveau en mon pouvoir. En les gardant, je ne ferais qu'user de mon droit de représailles. Mais, à la passion allumée dans leur âme par le succès de l'_Albatros,_ j'ai compris que l'état des esprits n'était pas prêt pour l'importante révolution que la conquête de l'air doit amener un jour. Uncle Prudent et Phil Evans, vous êtes libres ! »

Le président, le secrétaire du Weldon-Institute, l'aéronaute et son aide, n'eurent qu'à sauter pour prendre terre.

L'_Albatros_ remonta aussitôt à une dizaine de mètres au-dessus de la foule.

Puis, Robur, continuant :

« Citoyens des Etats-Unis, dit-il, mon expérience est faite; mais mon avis est dès à présent qu'il ne faut rien prématurer, pas même le progrès. La science ne doit pas devancer les mœurs. Ce sont des évolutions, non des révolutions qu'il convient de faire. En un mot, il faut n'arriver qu'à son heure. J'arriverais trop tôt aujourd'hui pour avoir raison des intérêts contradictoires et divisés. Les nations ne sont pas encore mûres pour l'union.

« Je pars donc, et j'emporte mon secret avec moi. Mais il ne sera pas perdu pour l'humanité. Il lui appartiendra le jour où elle sera assez instruite pour en tirer profit et assez sage pour n'en jamais abuser. Salut, citoyens des Etats-Unis, salut! »

Et l'_Albatros,_ battant l'air de ses soixante-quatorze hélices, emporté par ses deux propulseurs poussés à outrance, disparut vers l'est au milieu d'une tempête de hurrahs, qui, cette fois, étaient admiratifs.

Les deux collègues, profondément humiliés, ainsi que tout le Weldon-Institute en leur personne, firent la seule chose qu'il y eût à faire : ils s'en retournèrent chez eux, tandis que la foule, par un revirement subit, était prête à les saluer de ses plus vifs sarcasmes, justes à cette heure!

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Et maintenant, toujours cette question Qu'est-ce que ce Robur? Le saura-t-on jamais?

On le sait aujourd'hui. Robur, c'est la science future, celle de demain peut-être. C'est la réserve certaine de l'avenir.

Quant à l'_Albatros,_ voyage-t-il encore à travers cette atmosphère terrestre, au milieu de ce domaine que nul ne peut lui ravir? Il n'est pas permis d'en douter. Robur-le-Conquérant reparaîtra-t-il un jour, ainsi qu'il l'a annoncé? Oui! il viendra livrer le secret d'une invention qui peut modifier les conditions sociales et politiques du monde.

Quant à l'avenir de la locomotion aérienne, il appartient à l'aéronef, non à l'aérostat.