Ils attendaient que le moment fût venu d'agir.
Un peu avant minuit :
« Il est temps! » dit Uncle Prudent.
Sous les couchettes de la cabine, il y avait un coffre qui formait tiroir. Ce fut dans ce coffre que Uncle Prudent déposa la cartouche de dynamite, munie de sa mèche. De cette façon, la mèche pourrait brûler sans se trahir par son odeur ou son crépitement. Uncle Prudent l'alluma à son extrémité. Puis, repoussant le coffre sous la couchette
Maintenant, à l'arrière, dit-il, et attendons!
Tous deux sortirent et furent d'abord étonnés de ne pas voir le timonier à son poste habituel.
Phil Evans se pencha alors en dehors de la plate-forme.
« L'_Albatros_ est toujours à la même place! dit-il à voix basse. Les travaux n'ont pas été terminés !... Il n'aura pu partir! »
Uncle Prudent eut un geste de désappointement.
« Il faut éteindre la mèche, dit-il.
Non !... Il faut nous sauver! répondit Phil Evans. Nous sauver?
- Oui!... Par le câble de l'ancre, puisqu'il fait nuit!... Cent cinquante pieds à descendre, ce n'est rien!
- Rien, en effet, Phil Evans, et nous serions fous de ne pas profiter de cette chance inattendue! »
Mais, auparavant, ils rentrèrent dans leur cabine et prirent sur eux tout ce qu'ils pouvaient emporter en prévision d'un séjour plus ou moins prolongé sur l'île Chatam. Puis, la porte refermée, ils s'avancèrent sans bruit vers l'avant.
Leur intention était de réveiller Frycollin et de l'obliger à prendre la fuite avec eux.
L'obscurité était profonde. Les nuages commençaient à chasser du sud-ouest. Déjà l'aéronef tanguait quelque peu sur son ancre, en s'écartant légèrement de la verticale par rapport au câble de retenue. La descente devait donc offrir un peu plus de difficultés. Mais ce n'était pas pour arrêter des hommes qui, tout d'abord, n'avaient pas hésité à jouer leur vie.
Tous deux se glissèrent sur la plate-forme, s'arrêtant parfois à l'abri des roufles pour écouter si quelque bruit se produisait. Silence absolu partout. Aucune lumière à travers les hublots. Ce n'était pas seulement le silence, c'était le sommeil dans lequel était plongé l'aéronef.
Cependant Uncle Prudent et son compagnon s'approchaient de la cabine de Frycollin, lorsque Phil Evans s'arrêta :
« L'homme de garde! » dit-il.
Un homme, en effet, était couché près du roufle. S'il dormait, c'était à peine. Toute fuite devenait impossible au cas où il eût donné l'alarme.
En cet endroit, il y avait quelques cordes, des morceaux de toile et d'étoupe, dont on s'était servi pour la réparation de l'hélice.
Un instant après, l'homme fut bâillonné, encapuchonné, attaché à un des montants de la rambarde, dans l'impossibilité de pousser un cri ou de faire un mouvement.
Tout cela s'était passé presque sans bruit.
Uncle Prudent et Phil Evans écoutèrent... Le silence ne fut aucunement troublé à l'intérieur des roufles. Tous dormaient à bord.
Les deux fugitifs - ne peut-on déjà leur donner ce nom? - arrivèrent devant la cabine occupée par Frycollin. François Tapage faisait entendre un ronflement digne de son nom, ce qui était rassurant.
A sa grande surprise, Uncle Prudent n'eut point à pousser la porte de Frycollin. Elle était ouverte. Il s'introduisit à demi dans la cabine; puis, se retirant :
« Personne! dit-il.
- Personne ! ... Où peut-il être? » murmura Phil Evans.
Tous deux rampèrent jusqu'à l'avant, pensant que Frycollin dormait peut-être dans quelque coin...
Personne encore.
« Est-ce que le coquin nous aurait devancés ?... dit Uncle Prudent.
- Qu'il l'ait fait ou non, répondit Phil Evans, nous ne pouvons attendre plus longtemps! Partons ! »
Sans hésiter, l'un après l'autre, les fugitifs saisirent le câble des deux mains, s'y assujettirent des deux pieds; puis, se laissant glisser, ils arrivèrent à terre sains et saufs.
Quelle jouissance ce fut pour eux de fouler ce sol qui leur manquait depuis si longtemps, de marcher sur un terrain solide, de ne plus être les jouets de l'atmosphère!
Ils se préparaient à gagner l'intérieur de l'île en remontant le rio, quand, soudain, une ombre se dressa devant eux.