Jules Verne

En ce moment, la moitié du jeu était en fonction - ce qui suffisait à assurer la tension du câble fixé perpendiculairement au littoral.

Mais les deux propulseurs avaient souffert, et plus encore que ne le croyait Robur. Il fallait redresser leurs branches et retoucher l'engrenage qui leur transmettait le mouvement de rotation.

Ce fut l'hélice antérieure, dont le personnel s'occupa d'abord sous la direction de Robur et de Tom Turner. Mieux valait commencer par elle, pour le cas où un motif quelconque eût obligé l'_Albatros_ à partir avant que le travail fût achevé. Rien qu'avec ce propulseur, on pouvait se maintenir plus aisément en bonne route.

Entre-temps, Uncle Prudent et son collègue, après s'être promenés sur la plate-forme, étaient allés s'asseoir à l'arrière.

Quant à Frycollin, il était singulièrement rassure. Quelle différence! N'être plus suspendu qu'à cent cinquante pieds du sol!

Les travaux ne furent interrompus qu'au moment ou l'élévation du soleil au-dessus de l'horizon permit de prendre d'abord un angle horaire, puis, lors de sa culmination, de calculer le midi du lieu.

Le résultat de l'observation, faite avec la plus grande exactitude, fut celui-ci :

Longitude 176°17' à l'est du méridien zéro.

Latitude 43°37' australe.

Le point, sur la carte, se rapportait à la position de l'île Chatam et de l'îlot Viff, dont le groupe est aussi désigné sous l'appellation commune d'îles Brougthon. Ce groupe se trouve à quinze degrés dans l'est de Tawaï-Pomanou, l'île méridionale de la Nouvelle-Zélande, située dans la partie sud de l'océan Pacifique.

« C'est à peu près ce que je supposais, dit Robur à Tom Turner.

- Et alors, nous sommes?...

- A quarante-six degrés dans le sud de l'île X, soit à une distance de deux mille huit cents milles.

- Raison de plus pour réparer nos propulseurs, répondit le contremaître. Dans ce trajet, nous pourrions rencontrer des vents contraires, et, avec le peu qui nous reste d'approvisionnements, il importe de rallier l'île X le plus vite possible.

- Oui, Tom, et j'espère bien me mettre en route dans la nuit, quand je devrais ne partir qu'avec une seule hélice, quitte à réparer l'autre en route.

- Master Robur, demanda Tom Turner, et ces deux gentlemen, et leur domestique ?...

- Tom Turner, répondit l'ingénieur, seraient-ils à plaindre pour devenir colons de l'île X? »

Mais qu'était donc cette île X? Une île perdue dans l'immensité de l'océan Pacifique, entre l'équateur et le tropique du Cancer, une île qui justifiait bien ce signe algébrique dont Robur avait fait son nom. Elle émergeait de cette vaste mer des Marquises, en dehors de toutes les routes de communication interocéaniennes. C'était là que Robur avait fondé sa petite colonie, là que venait se reposer l'_Albatros,_ lorsqu'il était fatigué de son vol, là qu'il se réapprovisionnait de tout ce qu'il lui fallait pour ses perpétuels voyages. En cette île X, Robur, disposant de grandes ressources, avait pu établir un chantier et construire son aéronef. Il pouvait l'y réparer, même le refaire. Ses magasins renfermaient les matières, subsistances, approvisionnements de toutes sortes, accumulés pour l'entretien d'une cinquantaine d'habitants, l'unique population de l'île.

Lorsque Robur avait doublé le cap Horn, quelques jours avant, son intention était bien de regagner l'île X, en traversant obliquement le Pacifique. Mais le cyclone avait saisi l'_Albatros_ dans son tourbillon. Après lui, l'ouragan l'avait emporté au-dessus des régions australes. En somme, il avait été à peu près remis dans sa direction première, et, sans les avaries des propulseurs, le retard n'aurait eu que peu d'importance.

On allait donc regagner l'île X. Mais, ainsi que l'avait dit le contremaître Tom Turner, la route était longue encore. Il y aurait probablement à lutter contre des vents défavorables. Ce ne serait pas trop de toute sa puissance mécanique pour que l'_Albatros_ arrivât à destination dans les délais voulus. Avec un temps moyen, sous une allure ordinaire, cette traversée devait s'accomplir en trois ou quatre jours.