Jules Verne

« Attention! » cria Robur.

Une corde se déroula de la plate-forme, et un seau, contenant de l'eau douce, fut affalé jusqu'à l'embarcation.

Les malheureux se jetèrent dessus et burent à même avec une avidité qui faisait mal à voir.

« Du pain!... du pain!... » crièrent-ils.

Aussitôt, un panier contenant quelques vivres, des conserves, un flacon de brandy, plusieurs pintes de café, descendit jusqu'à eux. Le second eut bien de la peine à les modérer dans l'assouvissement de leur faim.

Puis :

« Où sommes-nous?

- A cinquante milles de la côte du Chili et de l'archipel des Chonas, répondit Robur.

- Merci, mais le vent nous manque, et...

- Nous allons vous donner la remorque!

- Qui êtes-vous ?...

- Des gens qui sont heureux d'avoir pu vous venir en aide », répondit simplement Robur.

Le second comprit qu'il y avait un incognito à respecter. Quant à cette machine volante, était-il donc possible qu'elle eût assez de force pour les remorquer?

Oui! et l'embarcation, attachée à un câble d'une centaine de pieds, fut entraînée vers l'est par le puissant appareil.

A dix heures du soir, la terre était en vue, ou plutôt on voyait briller les feux qui en indiquaient la situation. Il était venu à temps, ce secours du ciel, pour les naufragés de la _Jeannette,_ et ils avaient bien le droit de croire que leur sauvetage tenait du miracle!

Puis, quand il les eut conduits à l'entrée des passes des îles Chonas, Robur leur cria de larguer la remorque

- ce qu'ils firent en bénissant leurs sauveteurs, - et l'_Albatros_ reprit aussitôt le large.

Décidément il avait du bon, cet aéronef, qui pouvait ainsi secourir des marins perdus en mer! Quel ballon, si perfectionné qu'il fût, aurait été apte à rendre un pareil service! Et, entre eux, Uncle Prudent et Phil Evans durent en convenir, bien qu'ils fussent dans une disposition d'esprit à nier même l'évidence.

Mer mauvaise toujours. Symptômes alarmants. Le baromètre tomba encore de quelques millimètres.

Il y avait des poussées terribles de la brise qui sifflait violemment dans les engins hélicoptériques de l'_Albatros,_ et refusait ensuite momentanément. En ces circonstances, un navire à voiles aurait eu déjà deux ris dans ses huniers et un ris dans sa misaine. Tout indiquait que le vent allait sauter dans le nord-ouest. Le tube du stormglass commençait à se troubler d'une inquiétante façon.

A une heure du matin, le vent s'établit avec une extrême violence. Cependant, bien qu'il l'eût alors debout, l'aéronef, mû par ses propulseurs, put gagner encore contre lui et remonter à raison de quatre à cinq lieues par heure. Mais il n'aurait pas fallu lui demander davantage.

Très évidemment il se préparait un coup de cyclone, - ce qui est rare sous ces latitudes. Qu'on le nomme hurracan sur l'Atlantique, typhon dans les mers de Chine, simoun au Sahara, tornade sur la côte occidentale, c'est toujours une tempête tournante - et redoutable. Oui! redoutable pour tout bâtiment, saisi par ce mouvement giratoire qui s'accroît de la circonférence au centre et ne laisse qu'un seul endroit calme, le milieu de ce maelstrom des airs.

Robur le savait. Il savait aussi qu'il était prudent de fuir un cyclone, en sortant de sa zone d'attraction par une ascension vers les couches supérieures. Jusqu'alors il y àvait toujours réussi. Mais il n'avait pas une heure à perdre, pas une minute peut-être!

En effet la violence du vent s'accroissait sensiblement. Les lames, découronnées à leurs crêtes, faisaient courir une poussière blanche à la surface de la mer. Il était manifeste, aussi, que le cyclone, en se déplaçant, allait tomber vers les régions du pôle avec une vitesse effroyable.

«En haut! dit Robur.

- En haut!» répondit Tom Turner.

Une extrême puissance ascensionnelle fut communiquée à l'aéronef, et il s'éleva obliquement, comme s'il eût suivi un plan qui se fût incliné dans le sud-ouest.

En ce moment, le baromètre baissa encore, -une chute rapide de la colonne de mercure de huit, puis de douze millimètres.