- Oui, comme moi j'ai le droit d'épargner ce supplice à mes oreilles! répliqua Robur.
- Ingénieur Robur!... dit Uncle Prudent, qui venait d'apparaître sur la plate-forme.
- Président du Weldon-Institute ? »
Tous deux s'étaient avancés l'un vers l'autre. Ils se regardaient dans le blanc des yeux.
Puis, Robur, haussant les épaules :
« A bout de corde! » dit-il.
Tom Turner avait compris. Frycollin fut tiré de sa cabine.
Quels cris il poussa, lorsque le contremaître et un de ses camarades le saisirent et l'attachèrent dans une sorte de baille, à laquelle ils fixèrent solidement l'extrémité d'un câble!
C'était précisément un de ces câbles dont Uncle Prudent voulait faire l'usage que l'on sait.
Le Nègre avait cru d'abord qu'il allait être pendu... Non! Il ne devait être que suspendu.
En effet, ce câble fut déroulé au-dehors sur une longueur de cent pieds, et Frycollin se trouva balancé dans le vide.
Il pouvait crier à son aise maintenant. Mais, l'épouvante l'étreignant au larynx, il resta muet.
Uncle Prudent et Phil Evans avaient voulu s'opposer à cette exécution ils furent repoussés.
« C'est une infamie!... C'est une lâcheté! s'écria Uncle Prudent, qui était hors de lui.
- Vraiment! répondit Robur.
- C'est un abus de la force contre lequel je protesterai autrement que par des paroles!
- Protestez!
- Je me vengerai, ingénieur Robur!
- Vengez-vous, président du Weldon-Institute!
- Et de vous et des vôtres! »
Les gens de l'_Albatros_ s'étaient rapprochés dans des dispositions peu bienveillantes. Robur leur fit signe de s'éloigner.
« Oui!... De vous et des vôtres!.., reprit Uncle Prudent, que son collègue essayait en vain de calmer.
- Quand il vous plaira! répondit l'ingénieur.
- Et par tous les moyens possibles!
- Assez! dit alors Robur d'un ton menaçant, assez! Il y a d'autres câbles à bord! Taisez-vous, ou, sinon, tout comme le valet, le maître! »
Uncle Prudent se tut, non par crainte, mais parce qu'il fut pris d'une telle suffocation que Phil Evans dut l'emmener dans sa cabine.
Cependant, depuis une heure, le temps s'était singulièrement modifié. Il y avait des symptômes auxquels on ne pouvait se méprendre. Un orage menaçait. La saturation électrique de l'atmosphère était portée à un tel point que, vers deux heures et demie, Robur fut témoin d'un phénomène qu'il n'avait jamais observé.
Dans le nord, d'où venait l'orage, montaient des volutes de vapeurs quasi lumineuses, - ce qui était certainement dû à la variation de la charge électrique des diverses couches de nuages.
Le reflet de ces bandes faisait courir, à la surface de la mer, des myriades de lueurs, dont l'intensité devenait d'autant plus vive que le ciel commençait à s'assombrir.
L'_Albatros_ et le météore ne devaient pas tarder à se rencontrer, puisqu'ils allaient l'un au-devant de l'autre.
Et Frycollin? Eh bien, Frycollin était toujours à la remorque, - et remorque est le mot juste, car le câble faisait un angle assez ouvert avec l'appareil lancé à une vitesse de cent kilomètres, ce qui laissait la baille quelque peu en arrière.
Que l'on juge de son épouvante, lorsque les éclairs commencèrent à sillonner l'espace autour de lui, tandis que le tonnerre roulait ses éclats dans les profondeurs du ciel.
Tout le personnel du bord s'occupait à manœuvrer en vue de l'orage, soit pour s'élever plus haut que lui, soit pour le distancer en se lançant à travers les couches inférieures.
L'_Albatros_ se trouvait alors à sa hauteur moyenne -mille mètres environ, - quand éclata un coup de foudre d'une violence extrême. La rafale s'éleva soudain. En quelques secondes, les nuages en feu se précipitèrent sur l'aéronef.
Phil Evans vint alors intercéder en faveur de Frycollin et demander qu'on le ramenât à bord.
Mais Robur n'avait point attendu cette démarche. Ses ordres étaient donnés. Déjà on s'occupait de haler la corde sur la plate-forme, quand, tout à coup, il se fit un ralentissement inexplicable dans la rotation des hélices suspensives.