Peu de villages, peu d'habitants en ce pays si différent des territoires aurifères du Colorado, situés à plusieurs degrés au sud.
Au loin commençait à se profiler, très confusément encore, une suite de crêtes que le soleil levant bordait d'un trait de feu.
C'étaient les montagnes Rocheuses.
Tout d'abord, ce matin-là, Uncle Prudent et Phil Evans furent saisis par un froid vif. Cet abaissement de la température n'était point dû à une modification du temps, et le soleil brillait d'un éclat superbe.
« Cela doit tenir à l'élévation de l'_Albatros_ dans l'atmosphère », dit Phil Evans.
En effet, le baromètre, placé extérieurement à la porte du roufle central, était tombé à cinq cent quarante millimètres - ce qui indiquait une élévation de trois mille mètres environ. L'aéronef se tenait donc alors à une assez grande altitude, nécessitée par les accidents du sol.
D'ailleurs, une heure avant, il avait dû dépasser la hauteur de quatre mille mètres, car, derrière lui, se dressaient des montagnes que couvrait une neige éternelle.
Dans leur mémoire, rien ne pouvait rappeler à Uncle Prudent ni à son compagnon quel était ce pays. Pendant la nuit, l'_Albatros_ avait pu faire des écarts, nord et sud, avec une vitesse excessive, et cela suffisait pour les dérouter.
Toutefois, après avoir discuté diverses hypothèses plus ou moins plausibles, ils s'arrêtèrent à celle-ci : ce territoire, encadré dans un cirque de montagnes, devait être celui qu'un acte du Congrès, en mars 1872, avait déclaré Parc national des Etats-Unis.
C'était en effet cette région si curieuse. Elle méritait bien le nom de parc - un parc avec des montagnes pour collines, des lacs pour étangs, des rivières pour ruisseaux, des cirques pour labyrinthes, et, pour jets d'eau, des geysers d'une merveilleuse puissance.
En quelques minutes, l'_Albatros_ se glissa au-dessus de la Yellowstone-river, laissant le mont Stevenson sur la droite, et il aborda le grand lac qui porte le nom de ce cours d'eau. quelle variété dans le tracé des rives de ce bassin, dont les plages, semées d'obsidienne et de petits cristaux, réfléchissent le soleil par leurs milliers de facettes! quel caprice dans La disposition des îles qui apparaissent à sa surface! quel reflet d'azur projeté par ce gigantesque miroir! Et autour de ce lac, l'un des plus élevés du globe terrestre, quelles nuées de volatiles, pélicans, cygnes, mouettes, oies, barnaches et plongeons! Certaines portions de rives, très escarpées, sont revêtues d'une toison d'arbres verts, pins et mélèzes, et, du pied de ces escarpements, jaillissent d'innombrables fumerolles blanches. C'est la vapeur qui s'échappe de ce sol, comme d'un énorme récipient, dans lequel l'eau est entretenue par les feux intérieurs à l'état d'ébullition permanente.
Pour le maître coq, c'eût été ou jamais le cas de faire une ample provision de truites, le seul poisson que les eaux du lac Yellowstone nourrissent par myriades. Mais l'_Albatros_ se tint toujours à une telle hauteur que l'occasion ne se présenta pas d'entreprendre une pêche, qui, très certainement, aurait été miraculeuse.
Au surplus, en trois quarts d'heure, le lac fut franchi, et, un peu plus loin, la région de ces geysers qui rivalisent avec les plus beaux de l'Islande. Penchés au-dessus de la plate-forme, Uncle Prudent et Phil Evans observaient les colonnes liquides qui s'élançaient comme pour fournir à l'aéronef un élément nouveau. C'étaient « l'Eventail » dont les jets se disposent en lamelles rayonnantes, le « Château fort », qui semble se défendre à coups de trombes, le « Vieux fidèle » avec sa projection couronnée d'arcs-en-ciel, le « Géant », dont la poussée interne vomit un torrent vertical d'une circonférence de vingt pieds, à plus de deux cents pieds d'altitude.
Ce spectacle incomparable, on peut dire unique au monde, Robur en connaissait sans doute toutes les merveilles, car il ne parut pas sur la plate-forme. Etait-ce donc pour le seul plaisir de ses hôtes qu'il avait lancé l'aéronef au-dessus de ce domaine national? Quoi qu'il en soit, il s'abstint de venir chercher leurs remerciements.