Rien. Rien, non plus, à la porte. Elle était hermétiquement fermée, et il eût été impossible de faire sauter la serrure. Il fallait donc pratiquer un trou et s'échapper par ce trou. Restait la question de savoir si les bowie-knifes pourraient entamer les parois, si leurs lames ne s'émousseraient pas ou ne se briseraient pas dans ce travail.
« Mais d'où vient ce frémissement qui ne cesse pas? demanda Phil Evans, très surpris de ce frrrr continu.
- Le vent, sans doute, répondit Uncle Prudent.
- Le vent ?... Jusqu'à minuit, il me semble que la soirée a été absolument calme...
- Evidemment, Phil Evans. Si ce n'était pas le vent, que voudriez-vous que ce fût? »
Phil Evans, après avoir dégagé la meilleure lame de son couteau, essaya d'entamer les parois près de la porte. Peut-être suffirait-il de faire un trou pour l'ouvrir par l'extérieur, si elle n'était maintenue que par un verrou, ou si la clef avait été laissée dans la serrure.
Quelques minutes de travail n'eurent d'autre résultat que d'ébrécher les lames du bowie-knife, de les épointer, de les transformer en scies à mille dents.
« Ça ne mord pas, Phil Evans?
- Non.
- Est-ce que nous serions dans une cellule en tôle?
- Point, Uncle Prudent: Ces parois, quand on les frappe, ne rendent aucun son métallique.
- Du bois de fer, alors?
- Non! ni fer ni bois.
- Qu'est-ce alors?
- Impossible de le dire, mais, en tout cas, une substance sur laquelle l'acier ne peut mordre. »
Uncle Prudent, pris d'un violent accès de colère, jura, frappa du pied le plancher sonore, tandis que ses mains cherchaient à étrangler un Robur imaginaire.
« Du calme, Uncle Prudent, lui dit Phil Evans, du calme! Essayez à votre tour. »
Uncle Prudent essaya, mais le bowie-knife ne put entamer une paroi qu'il ne parvenait même pas à rayer de ses meilleures lames, comme si elle eût été de cristal.
Donc, toute fuite devenait impraticable, en admettant qu'elle eût pu être tentée, la porte une fois ouverte.
Il fallut se résigner, momentanément, ce qui n'est guère dans le tempérament yankee, et tout attendre du hasard, ce qui doit répugner à des esprits éminemment pratiques. Mais ce ne fut pas sans objurgations, gros mots, violentes invectives à l'adresse de ce Robur - lequel ne devait point être homme à s'en émouvoir. pour peu qu'il se montrât dans la vie privée le personnage qu'il avait été au milieu du Weldon-Institute.
Cependant Frycollin commençait à donner quelques signes non équivoques de malaise. Soit qu'il éprouvât des crampes à l'estomac ou des crampes dans les membres, il se démenait d'une lamentable façon.
Uncle Prudent crut devoir mettre un terme à cette gymnastique, en coupant les cordes qui serraient le Nègre.
Peut-être eut-il lieu de s'en repentir. Ce fut aussitôt une interminable litanie, dans laquelle les affres de l'épouvante se mêlaient aux souffrances de la faim. Frycollin n'était pas moins pris par le cerveau que par l'estomac. Il eût été difficile de dire auquel de ces deux viscères le Nègre était plus particulièrement redevable de ce qu'il éprouvait.
« Frycollin! s'écria Uncle Prudent.
- Master Uncle!... Master Uncle!... répondit le Nègre entre deux vagissements lugubres.
Il est possible que nous soyons condamnés à mourir de faim dans cette prison. Mais nous sommes décidés à ne succomber que lorsque nous aurons épuisé tous les moyens d'alimentation susceptibles de prolonger notre vie...
- Me manger? s'écria Frycollin.
- Comme on fait toujours d'un Nègre en pareille occurrence!... Ainsi, Frycollin, tâche de te faire oublier...
- Ou l'on te Fry-cas-se-ra! ajouta Phil Evans. »
Et, très sérieusement, Frycollin eut peur d'être employé à la prolongation de deux existences évidemment plus précieuses que la sienne. Il se borna donc à gémir in petto.
Cependant le temps s'écoulait, et toute tentative pour forcer la porte ou la paroi était demeurée infructueuse. En quoi était cette paroi, impossible de le reconnaître.
Ce n'était pas du métal, ce n'était pas du bois, ce n'était pas de la pierre.