Jules Verne

Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il faut interroger Nell ! Il le faut ! Elle comprendra que, à l'heure qu'il est, son silence n'aurait plus de raison. Dans l'intérêt même de son grand-père, il convient qu'elle parle. Il importe autant pour lui que pour nous, que nous puissions mettre à néant ses sinistres projets.

-- Je ne doute pas, monsieur Starr, répondit Harry, que Nell ne vienne de son propre mouvement au-devant de vos questions. Vous le savez maintenant, c'est par conscience, c'est par devoir qu'elle s'est tue jusqu'ici. C'est par devoir, c'est par conscience qu'elle parlera dès que vous le voudrez. Ma mère a bien fait de la reconduire dans sa chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l'aller chercher...

-- C'est inutile, Harry », dit d'une voix ferme et claire la jeune fille, qui entrait au moment même dans la grande salle du cottage.

Nell était pâle. Ses yeux disaient combien elle avait pleuré; mais on la sentait résolue à la démarche que sa loyauté lui commandait en ce moment.

« Nell ! s'était écrié Harry, en s'élançant vers la jeune fille.

-- Harry, répondit Nell, qui d'un geste arrêta son fiancé, ton père, ta mère et toi, il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Il faut que vous n'ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne l'enfant que vous avez accueillie sans la connaître et qu'Harry pour son malheur, hélas ! a tirée de l'abîme.

-- Nell ! s'écria Harry.

-- Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence à Harry.

-- Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n'ai jamais connu de mère que le jour où je suis entrée ici, ajouta-t-elle en regardant Madge.

-- Que ce jour soit béni, ma fille ! répondit la vieille Écossaise.

-- Je n'ai jamais connu de père que le jour où j'ai vu Simon Ford, reprit Nell, et d'ami que le jour où la main d'Harry a touché la mienne ! Seule, j'ai vécu pendant quinze ans, dans les recoins les plus reculés de la mine, avec mon grand-père. Avec lui, c'est beaucoup dire. Par lui serait plus juste. Je le voyais à peine. Lorsqu'il disparut de l'ancienne Aberfoyle, il se réfugia dans ces profondeurs que lui seul connaissait. A sa façon, il était alors bon pour moi, quoique effrayant. Il me nourrissait de ce qu'il allait chercher au-dehors; mais j'ai le vague souvenir que, d'abord, pendant mes plus jeunes années, j'ai eu pour nourrice une chèvre, dont la perte m'a bien désolée. Grand-père, me voyant si chagrine, la remplaça d'abord par un autre animal, -- un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien était gai. Il aboyait. Grand-père n'aimait pas la gaieté. Il avait horreur du bruit. Il m'avait appris le silence, et n'avait pu l'apprendre au chien. Le pauvre animal disparut presque aussitôt. Grand-père avait pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d'abord me fit horreur; mais cet oiseau, malgré la répulsion qu'il m'inspirait, me prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en était venu à m'obéir mieux qu'à son maître, et cela même m'inquiétait pour lui. Grand-père était jaloux. Le harfang et moi, nous nous cachions le plus que nous pouvions d'être trop bien ensemble ! Nous comprenions qu'il le fallait !... Mais c'est trop vous parler de moi ! C'est de vous qu'il s'agit...

-- Non, ma fille, répondit James Starr. Dis les choses comme elles te viennent.

-- Mon grand-père, reprit Nell, avait toujours vu d'un très mauvais œil votre voisinage dans la houillère. L'espace ne manquait pas, cependant. C'était loin, bien loin de vous qu'il se choisissait des refuges. Cela lui déplaisait de vous sentir là. Quand je le questionnais sur les gens de là-haut, son visage s'assombrissait, il ne répondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais où sa colère éclata, ce fut quand il s'aperçut que, ne vous contentant plus du vieux domaine, vous sembliez vouloir empiéter sur le sien. Il jura que si vous parveniez à pénétrer dans la nouvelle houillère, connue de lui seul jusqu'alors, vous péririez ! Malgré son âge, sa force est encore extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.