Jules Verne

Je n'en sais rien, mais ce qu'il ne faut point oublier, c'est qu'il a servi de théâtre aux exploits de la _Dame du lac_. Je suis certain que, si notre ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore à sa surface l'ombre légère de la belle Hélène Douglas !

-- Certainement, monsieur Starr, répondit Jack Ryan, et pourquoi ne la verrais-je point ? Pourquoi cette jolie femme ne serait elle pas aussi visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la houillère sur les eaux du lac Malcolm ? »

En cet instant, les sons clairs d'une cornemuse se firent entendre à l'arrière du _Rob-Roy_.

Là, un Highlander en costume national préludait, sur son « bag-pipe » à trois bourdons, dont le plus gros sonnait le _sol_, le second le _si_, et le plus petit l'octave du gros. Quant au chalumeau, percé de huit trous, il donnait une gamme de _sol_ majeur dont le _fa_ était naturel.

Le refrain du Highlander était un chant simple, doux et naïf. On peut croire, véritablement, que ces mélodies nationales n'ont été composées par personne, qu'elles sont un mélange naturel du souffle de la brise, du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain, qui revenait à intervalles réguliers, était bizarre. Sa phrase se composait de trois mesures à deux temps, et d'une mesure à trois temps, finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille époque, il était en majeur, et l'on eût pu l'écrire comme suit, dans ce langage chiffré qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons :

5 | 1.2 | 3525 | 1.765 | 22.22 ⋅⋅⋅

1.2 | 3525 | 1.765 | 11.11 ⋅⋅⋅

Un homme véritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des lacs d'Écosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander l'accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne, consacré aux poétiques légendes de la vieille Calédonie :

Beaux lacs aux ondes dormantes, Gardez à jamais Vos légendes charmantes, Beaux lacs écossais !

Sur vos bords on trouve la trace De ces héros tant regrettés, Ces descendants de noble race, Que notre Walter a chantés ! Voici la tour où les sorcières Préparaient leur repas frugal; Là, les vastes champs de bruyères, Où revient l'ombre de Fingal.

Ici passent dans la nuit sombre Les folles danses des lutins. Là, sinistre, apparaît dans l'ombre La face des vieux Puritains ! Et parmi les rochers sauvages, Le soir, on peut surprendre encore Waverley, qui, vers vos rivages, Entraîne Flora Mac Ivor !

La Dame du Lac vient sans doute Errer là sur son palefroi, Et Diana, non loin, écoute Résonner le cor de Rob Roy ! N'a-t-on pas entendu naguère Fergus au milieu de ses clans, Entonnant ses pibrochs de guerre, Réveiller l'écho des Highlands

Si loin de vous, lacs poétiques, Que le destin mène nos pas, Ravins, rochers, grottes antiques, Nos yeux ne vous oublieront pas ! Ô vision trop tôt finie, Vers nous ne peux-tu revenir A toi, vieille Calédonie, A toi, tout notre souvenir !

Beaux lacs aux ondes dormantes, Gardez à jamais Vos légendes charmantes, Beaux lacs écossais !

Il était trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine, moins accidentées, se détachaient alors dans le double cadre du Ben An et du Ben venue. Déjà, à un demi-mille, se dessinait l'étroit bassin, au fond duquel le _Rob-Roy_ allait débarquer les voyageurs, qui se rendaient à Stirling par Callander.

Nell était comme épuisée par la tension continue de son esprit. Un seul mot sortait de ses lèvres : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » chaque fois qu'un nouveau sujet d'admiration s'offrait à sa vue. Il lui fallait quelques heures de repos, ne fût-ce que pour fixer plus durablement le souvenir de tant de merveilles.

A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec émotion et lui dit :

« Nell, ma chère Nell, bientôt nous serons rentrés dans notre sombre domaine ! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces quelques heures passées à la pleine lumière du jour ?

-- Non, Harry, répondit la jeune fille.