Jules Verne

Ses yeux, qui s'étaient adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.

« Seule ! seule ! » répéta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge, comme si les forces lui eussent manqué tout à fait.

« Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous répondre, dit Madge, après avoir recouché la jeune fille. Quelques heures de repos, un peu de bonne nourriture, lui rendront ses forces. Viens, Simon ! viens, Harry ! venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil ! »

Sur le conseil de Madge, Nell fut laissée seule, et on put s'assurer, un instant après, qu'elle dormait profondément.

Cet événement n'alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la houillère, mais aussi dans le comté de Stirling, et, peu après, dans tout le Royaume-Uni. Le renom d'étrangeté de Nell s'en accrut. On aurait trouvé une jeune fille enfermée dans la roche schisteuse, comme un de ces êtres antédiluviens qu'un coup de pic délivre de leur gangue de pierre, que l'affaire n'eût pas eu plus d'éclat.

Sans le savoir, Nell devint fort à la mode. Les gens superstitieux trouvèrent là un nouveau texte à leurs récits légendaires. Ils pensaient volontiers que Nell était le génie de la Nouvelle Aberfoyle, et lorsque Jack Ryan le disait à son camarade Harry :

« Soit, répondait le jeune homme, pour conclure, soit, Jack ! Mais, en tout cas, c'est le bon génie ! C'est celui qui nous a secourus, qui nous a apporté le pain et l'eau, lorsque nous étions emprisonnés dans la houillère ! Ce ne peut être que lui ! Quant au mauvais génie, s'il est resté dans la mine, il faudra bien que nous le découvrions un jour ! »

On le pense bien, l'ingénieur James Starr avait été informé tout d'abord de ce qui s'était passé.

La jeune fille, ayant recouvré ses forces dès le lendemain de son entrée au cottage, fut interrogée par lui avec la plus grande sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie. Cependant, elle était intelligente, on le reconnut bientôt, mais certaines notions élémentaires lui manquaient : celle du temps, entre autres. On voyait qu'elle n'avait été habituée à diviser le temps ni par heures, ni par jours, et que ces mots mêmes lui étaient inconnus. En outre, ses yeux, accoutumés à la nuit, se faisaient difficilement à l'éclat des disques électriques; mais, dans l'obscurité, son regard possédait une extraordinaire acuité, et sa pupille, largement dilatée, lui permettait de voir au milieu des plus profondes ténèbres. Il fut aussi constant que son cerveau n'avait jamais reçu les impressions du monde extérieur, que nul autre horizon que celui de la houillère ne s'était développé à ses yeux, que l'humanité tout entière avait tenu pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille, qu'il y eût un soleil et des étoiles, des villes et des campagnes, un univers dans lequel fourmillaient les mondes ? On devait en douter jusqu'au moment où certains mots qu'elle ignorait encore prendraient dans son esprit une signification précise.

Quant à la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer à la résoudre. En effet, toute allusion à ce sujet jetait l'épouvante dans cette étrange nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas répondre; mais, certainement, il existait là quelque secret qu'elle eût pu dévoiler.

« Veux-tu rester avec nous ? veux-tu retourner là où tu étais ? » lui avait demandé James Starr.

A la première de ces deux questions : « Oh oui ! » avait dit la jeune fille. A la seconde, elle n'avait répondu que par un cri de terreur, mais rien de plus.

Devant ce silence obstiné, James Starr, et avec lui Simon et Harry Ford, ne laissaient pas d'éprouver une certaine appréhension. Ils ne pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagné la découverte de la houillère. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel incident ne se fût produit, ils s'attendaient toujours à quelque nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi voulurent-ils explorer le puits mystérieux.