Jack Ryan tournait alors le dos à la mer. Ses compagnons, eux aussi, regardaient un point situé à un demi mille en arrière de la grève.
C'était le château de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les rafales au sommet de la vieille tour.
« La Dame de feu ! » s'écrièrent avec grande terreur tous ces superstitieux Écossais.
Franchement, il fallait une bonne dose d'imagination pour trouver à cette flamme une apparence humaine. Agitée comme un pavillon lumineux sous la brise, elle semblait parfois s'envoler du sommet de la tour, comme si elle eût été sur le point de s'éteindre, et, un instant après, elle s'y rattachait de nouveau par sa pointe bleuâtre.
« La Dame de feu ! la Dame de feu ! » criaient les pêcheurs et les paysans effarés.
Tout s'expliquait alors. Il était évident que le navire, désorienté dans les brumes, avait fait fausse route, et qu'il avait pris cette flamme, allumée au sommet du château de Dundonald, pour le feu d'Irvine. Il se croyait à l'entrée du golfe, située dix milles plus au nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun refuge !
Que pouvait-on faire pour le sauver, s'il en était temps encore ? Peut-être eût-il fallu monter jusqu'aux ruines et tenter d'éteindre ce feu, pour qu'il ne fût pas possible de le confondre plus longtemps avec le phare du port d'Irvine !
Sans doute, c'était ainsi qu'il convenait d'agir, sans retard; mais lequel de ces Écossais eût eu la pensée, et, après la pensée, l'audace de braver la Dame de feu ? Jack Ryan, peut-être, car il était courageux, et sa crédulité, si forte qu'elle fût, ne pouvait l'arrêter dans un généreux mouvement.
Il était trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas des éléments.
Le navire venait de talonner par son arrière. Ses feux de position s'éteignirent. La ligne blanchâtre du ressac sembla brisée un instant. C'était le bâtiment qui l'abordait, se couchait sur le flanc et se disloquait entre les récifs.
Et, à ce même instant, par une coïncidence qui ne pouvait être due qu'au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle eût été arrachée par une violente rafale. La mer, le ciel, la grève furent aussitôt replongés dans les plus profondes ténèbres.
« La Dame de feu ! » avait une dernière fois crié Jack Ryan, lorsque cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut évanouie subitement.
Mais alors, le courage que ces superstitieux Écossais n'auraient pas eu contre un danger chimérique, ils le retrouvèrent en face d'un danger réel, maintenant qu'il s'agissait de sauver leurs semblables. Les éléments déchaînés ne les arrêtèrent pas. Au moyen de cordes lancées dans les lames -- héroïques autant qu'ils avaient été crédules --, ils se jetèrent au secours du bâtiment naufragé.
Heureusement, ils réussirent, non sans que quelques-uns -- et le hardi Jack Ryan était du nombre -- se fussent grièvement meurtris sur les roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l'équipage purent être déposés, sains et saufs, sur la grève.
Ce navire était le brick norvégien _Motala_, chargé de bois du nord, faisant route pour Glasgow.
Il n'était que trop vrai. Le capitaine, trompé par ce feu, allumé sur la tour du château de Dundonald, était venu donner en pleine côte, au lieu d'embouquer le golfe de Clyde.
Et maintenant, du _Motala_, il ne restait plus que de rares épaves, dont le ressac achevait de briser les débris sur les roches du littoral.
XII
Les Exploits de Jack Ryan
Jack Ryan et trois de ses compagnons, blessés comme lui, avaient été transportés dans une des chambres de la ferme de Melrose, où des soins leur furent immédiatement prodigués.
Jack Ryan avait été le plus maltraité, car, au moment où, la corde aux reins, il s'était jeté à la mer, les lames furieuses l'avaient rudement roulé sur les récifs. Peu s'en était fallu, même, que ses camarades ne l'eussent rapporté sans vie sur le rivage.
Le brave garçon fut donc cloué au lit pour quelques jours, -- ce dont il enragea fort.