Le contraste était d'autant plus frappant que, pendant l'hiver, les travaux des champs subissent une sorte de chômage. Mais autrefois, en toute saison, la population des mineurs, au-dessus comme au-dessous, animait ce territoire. Les grands charrois de charbon passaient nuit et jour. Les rails, maintenant enterrés sur leurs traverses pourries, grinçaient sous le poids des wagons. A présent, le chemin de pierre et de terre se substituait peu à peu aux anciens tramways de l'exploitation. James Starr croyait traverser un désert.
L'ingénieur regardait donc autour de lui d'un oeil attristé. Il s'arrêtait par instants pour reprendre haleine. Il écoutait. L'air ne s'emplissait plus à présent des sifflements lointains et du fracas haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noirâtres, que l'industriel aime à retrouver, mêlées aux grands nuages. Nulle haute cheminée cylindrique ou prismatique vomissant des fumées, après s'être alimentée au gisement même, nul tuyau d'échappement s'époumonant à souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussière de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr n'étaient plus habitués.
Lorsque l'ingénieur s'arrêtait, Harry Ford s'arrêtait aussi. Le jeune mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression, -- lui, un enfant de la houillère, dont toute la vie s'était écoulée dans les profondeurs de ce sol.
« Oui, Harry, tout cela est changé, dit James Starr. Mais, à force d'y prendre, il fallait bien que les trésors de houille s'épuisassent un jour ! Tu regrettes ce temps !
-- Je le regrette, monsieur Starr, répondit Harry. Le travail était dur, mais il intéressait, comme toute lutte.
-- Sans doute, mon garçon ! La lutte de tous les instants, le danger des éboulements, des incendies, des inondations, des coups de grisou qui frappent comme la foudre ! Il fallait parer à ces périls ! Tu dis bien ! C'était la lutte, et, par conséquent, la vie émouvante !
-- Les mineurs d'Alloa ont été plus favorisés que les mineurs d'Aberfoyle, monsieur Starr !
-- Oui, Harry, répondit l'ingénieur.
-- En vérité, s'écria le jeune homme, il est à regretter que tout le globe terrestre n'ait pas été uniquement composé de charbon ! Il y en aurait eu pour quelques millions d'années !
-- Sans doute, Harry, mais il faut avouer, cependant, que la nature s'est montrée prévoyante en formant notre sphéroïde plus principalement de grès, de calcaire, de granit, que le feu ne peut consumer !
-- Voulez-vous dire, monsieur Starr, que les humains auraient fini par brûler leur globe ?...
-- Oui ! Tout entier, mon garçon, répondit l'ingénieur. La terre aurait passé jusqu'au dernier morceau dans les fourneaux des locomotives, des locomobiles, des steamers, des usines à gaz, et, certainement, c'est ainsi que notre monde eût fini un beau jour !
-- Cela n'est plus à craindre, monsieur Starr. Mais aussi, les houillères s'épuiseront, sans doute, plus rapidement que ne l'établissent les statistiques !
-- Cela arrivera, Harry, et, suivant moi, l'Angleterre a peut-être tort d'échanger son combustible contre l'or des autres nations !
-- En effet, répondit Harry.
-- Je sais bien, ajouta l'ingénieur, que ni l'hydraulique, ni l'électricité n'ont encore dit leur dernier mot, et qu'on utilisera plus complètement un jour ces deux forces. Mais n'importe ! La houille est d'un emploi très pratique et se prête facilement aux divers besoins de l'industrie ! Malheureusement, les hommes ne peuvent la produire à volonté ! Si les forêts extérieures repoussent incessamment sous l'influence de la chaleur et de l'eau, les forêts intérieures, elles, ne se reproduisent pas, et le globe ne se retrouvera jamais dans les conditions voulues pour les refaire ! »
James Starr et son guide, tout en causant, avaient repris leur marche d'un pas rapide. Une heure après avoir quitté Callander, ils arrivaient à la fosse Dochart.
Un indifférent lui-même eût été touché du triste aspect que présentait l'établissement abandonné.