Jules Verne

Le _Prince de Galles_ s'arrêta à l'embarcadère d'Alloa pour déposer quelques voyageurs. James Starr eut le coeur serré en passant, après dix ans d'absence, près de cette petite ville, siège d'exploitation d'importantes houillères qui nourrissaient toujours une nombreuse population de travailleurs. Son imagination l'entraînait dans ce sous-sol, que le pic des mineurs creusait encore à grand profit. Ces mines d'Alloa, presque contiguës à celles d'Aberfoyle, continuaient à enrichir le comté, tandis que les gisements voisins, épuisés depuis tant d'années, ne comptaient plus un seul ouvrier !

Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfonça dans les nombreux détours que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une éclaircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date du XIIe siècle. Puis, ce furent le château de Stirling et le bourg royal de ce nom, où le Forth, traversé par deux ponts, n'est plus navigable aux navires de hautes mâtures.

A peine le _Prince de Galles_ avait-il accosté, que l'ingénieur sautait lestement sur le quai. Cinq minutes après, il arrivait à la gare de Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train à Callander, gros village situé sur la rive gauche du Teith.

Là, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avança aussitôt vers l'ingénieur.

C'était Harry, le fils de Simon Ford.

[1] Principale et célèbre rue du vieil Édimbourg.

III

Le sous-sol du Royaume-Uni

Il est convenable, pour l'intelligence de ce récit, de rappeler en quelques mots quelle est l'origine de la houille.

Pendant les époques géologiques, lorsque le sphéroïde terrestre était encore en voie de formation, une épaisse atmosphère l'entourait, toute saturée de vapeurs d'eau et largement imprégnée d'acide carbonique. Peu à peu, ces vapeurs se condensèrent en pluies diluviennes, qui tombèrent comme si elles eussent été projetées du goulot de quelques millions de milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'était, en effet, un liquide chargé d'acide carbonique qui se déversait torrentiellement sur un sol pâteux, mal consolidé, sujet aux déformations brusques ou lentes, à la fois maintenu dans cet état semi-fluide autant par les feux du soleil que par les feux de la masse intérieure. C'est que la chaleur interne n'était pas encore emmagasinée au centre du globe. La croûte terrestre, peu épaisse et incomplètement durcie, la laissait s'épancher à travers ses pores. De là, une phénoménale végétation, -- telle, sans doute, qu'elle se produit peut-être à la surface des planètes inférieures, Vénus ou Mercure, plus rapprochées que la terre de l'astre radieux.

Le sol des continents, encore mal fixé, se couvrit donc de forêts immenses; l'acide carbonique, si propre au développement du règne végétal, abondait. Aussi les végétaux se développaient-ils sous la forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbacée. C'étaient partout d'énormes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits, d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire à la nourriture d'aucun être vivant. La terre n'était pas prête encore pour l'apparition du règne animal.

Voici quelle était la composition de ces forêts antédiluviennes. La classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, variétés de prêles arborescentes, les lépidodendrons, sortes de lycopodes géants, hauts de vingt-cinq ou trente mètres, larges d'un mètre à leur base, des astérophylles, des fougères, des sigillaires de proportions gigantesques, dont on a retrouvé des empreintes dans les mines de Saint-Étienne -- toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne reconnaîtrait d'analogues que parmi les plus humbles spécimens de la terre habitable --, tels étaient, peu variés dans leur espèce, mais énormes dans leur développement, les végétaux qui composaient exclusivement les forêts de cette époque.

Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune, rendue profondément humide par le mélange des eaux douces et des eaux marines.