Jules Verne

Il la retournait dans tous les sens. Il regrettait, en vérité, qu'une ligne de plus n'eût pas été ajoutée par Simon Ford. Il lui en voulait d'avoir été si laconique.

Était-il donc possible que le vieil overman eût découvert quelque nouveau filon à exploiter ? Non !

James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houillères d'Aberfoyle avaient été explorées avant la cessation définitive des travaux. Il avait lui-même procédé aux derniers sondages, sans trouver aucun nouveau gisement dans ce sol ruiné par une exploitation poussée à l'excès. On avait même tenté de reprendre le terrain houiller sous les couches qui lui sont ordinairement inférieures, telles que le grés rouge dévonien, mais sans résultat. James Starr avait donc abandonné la mine avec l'absolue conviction qu'elle ne possédait plus un morceau de combustible.

« Non, se répétait-il, non ! Comment admettre que ce qui aurait échappé à mes recherches se serait révélé à celles de Simon Ford ? Pourtant, le vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde peut m'intéresser, et cette invitation, que je dois tenir secrète, de me rendre à la fosse Dochart !... »

James Starr en revenait toujours là.

D'autre part, l'ingénieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur, particulièrement doué de l'instinct du métier. Il ne l'avait pas revu depuis l'époque où les exploitations d'Aberfoyle avaient été abandonnées. Il ignorait même ce qu'était devenu le vieil overman. Il n'aurait pu dire à quoi il s'occupait, ni même où il demeurait, avec sa femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui était donné au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford, l'attendrait à la gare de Callander pendant toute la journée du lendemain. Il s'agissait donc évidemment de visiter la fosse Dochart.

« J'irai, j'irai ! » dit James Starr, qui sentait sa surexcitation s'accroître à mesure que s'avançait l'heure.

C'est qu'il appartenait, ce digne ingénieur, à cette catégorie de gens passionnés, dont le cerveau est toujours en ébullition, comme une bouilloire placée sur une flamme ardente. Il est de ces bouilloires dans lesquelles les idées cuisent à gros bouillons, d'autres où elles mijotent paisiblement. Or, ce jour-là, les idées de James Starr bouillaient à plein feu.

Mais, alors, un incident très inattendu se produisit. Ce fut la goutte d'eau froide, qui allait momentanément condenser toutes les vapeurs de ce cerveau.

En effet, vers six heures du soir, par le troisième courrier, le domestique de James Starr apporta une seconde lettre.

Cette lettre était renfermée dans une enveloppe grossière, dont la suscription indiquait une main peu exercée au maniement de la plume.

James Starr déchira cette enveloppe. Elle ne contenait qu'un morceau de papier, jauni par le temps, et qui semblait avoir été arraché à quelque vieux cahier hors d'usage.

Sur ce papier il n'y avait qu'une seule phrase, ainsi conçue :

« Inutile à l'ingénieur James Starr de se déranger, -- la lettre de Simon Ford étant maintenant sans objet. »

Et pas de signature.

[1] L'exploitation d'une mine se divise en travaux du « fond » et travaux du « jour »; les uns s'accomplissant à l'intérieur, les autres à l'exrérieur.

II

Chemin faisant

Le cours des idées de James Starr fut brusquement arrêté, lorsqu'il eut lu cette seconde lettre, contradictoire de la première.

« Qu'est-ce que cela veut dire ? » se demanda-t-il.

James Starr reprit l'enveloppe à demi déchirée. Elle portait, ainsi que l'autre, le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle. Elle était donc partie de ce même point du comté de Stirling. Ce n'était pas le vieux mineur qui l'avait écrite, -- évidemment. Mais, non moins évidemment, l'auteur de cette seconde lettre connaissait le secret de l'overman, puisqu'il contremandait formellement l'invitation faite à l'ingénieur de se rendre au puits Yarow.

Était-il donc vrai que cette première communication fût maintenant sans objet ? voulait-on empêcher James Starr de se déranger, soit inutilement, soit utilement ? N'y avait-il pas là plutôt une intention malveillante de contrecarrer les projets de Simon Ford ?

C'est ce que pensa James Starr, après mûre réflexion.