Pendant quatre jours, les demandes de renseignements les télégrammes inquiets, les questions furieuses, s'étaient abattus d'une part sur la maison de banque, de l'autre sur Stahlstadt.
Enfin, une réponse décisive était arrivée.
<< Herr Schultze disparu depuis le 17 septembre, disait le télégramme. Personne ne peut donner la moindre lueur sur ce mystère. Il n'a pas laissé d'ordres, et les caisses de secteur sont vides. >>
Dès lors, il n'avait plus été possible de dissimuler la vérité. Des créanciers principaux avaient pris peur et déposé leurs effets au tribunal de commerce. La déconfiture s'était dessinée en quelques heures avec la rapidité de la foudre, entraînant avec elle son cortège de ruines secondaires. A midi, le 13 octobre, le total des créances connues était de quarante-sept millions de dollars. Tout faisait prévoir que, avec les créances complémentaires, le passif approcherait de soixante millions.
Voilà ce qu'on savait et ce que tous les journaux racontaient, à quelques amplifications près. Il va sans dire qu'ils annonçaient tous pour le lendemain les renseignements les plus inédits et les plus spéciaux.
Et, de fait, il n'en était pas un qui n'eût dès la première heure expédié ses correspondants sur les routes de Stahlstadt.
Dès le 14 octobre au soir, la Cité de l'Acier s'était vue investie par une véritable armée de reporters, le carnet ouvert et le crayon au vent. Mais cette armée vint se briser comme une vague contre l'enceinte extérieure de Stahlstadt. La consigne était toujours maintenue, et les reporters eurent beau mettre en oeuvre tous les moyens possibles de séduction, il leur fut impossible de la faire plier.
Ils purent, toutefois, constater que les ouvriers ne savaient rien et que rien n'était changé dans la routine de leur section. Les contremaîtres avaient seulement annoncé la veille, par ordre supérieur, qu'il n'y avait plus de fonds aux caisses particulières, ni d'instructions venues du Bloc central, et qu'en conséquence les travaux seraient suspendus le samedi suivant, sauf avis contraire.
Tout cela, au lieu d'éclairer la situation, ne faisait que la compliquer. Que Herr Schultze eût disparu depuis près d'un mois, cela ne faisait doute pour personne. Mais quelle était la cause et la portée de cette disparition, c'est ce que personne ne savait. Une vague impression que le mystérieux personnage allait reparaître d'une minute à l'autre dominait encore obscurément les inquiétudes.
A l'usine, pendant les premiers jours, les travaux avaient continué comme à l'ordinaire, en vertu de la vitesse acquise. Chacun avait poursuivi sa tâche partielle dans l'horizon limité de sa section. Les caisses particulières avaient payé les salaires tous les samedis. La caisse principale avait fait face jusqu'à ce jour aux nécessités locales. Mais la centralisation était poussée à Stahlstadt à un trop haut degré de perfection, le maître s'était réservé une trop absolue surintendance de toutes les affaires, pour que son absence n'entraînât pas, dans un temps très court, un arrêt forcé de la machine. C'est ainsi que, du 17 septembre, jour où pour la dernière fois, le Roi de l'Acier avait signé des ordres, jusqu'au 13 octobre, où la nouvelle de la suspension des paiements avait éclaté comme un coup de foudre, des milliers de lettres -- un grand nombre contenaient certainement des valeurs considérables --, passées par la poste de Stahlstadt, avaient été déposées à la boîte du Bloc central, et, sans nul doute, étaient arrivées au cabinet de Herr Schultze. Mais lui seul se réservait le droit de les ouvrir, de les annoter d'un coup de crayon rouge et d'en transmettre le contenu au caissier principal.
Les fonctionnaires les plus élevés de l'usine n'auraient jamais songé seulement à sortir de leurs attributions régulières. Investis en face de leurs subordonnés d'un pouvoir presque absolu, ils étaient chacun, vis-à-vis de Herr Schultze -- et même vis-à-vis de son souvenir --, comme autant d'instruments sans autorité, sans initiative, sans voix au chapitre.