Jules Verne

<< Le colonel ne le savait pas, mais il fallait agir comme s'ils devaient être attaqués avant quinze jours.

Le numéro 2 : << Faut-il attendre l'attaque ou croyez-vous préférable de la prévenir ?

-- Il faut tout faire pour la prévenir, répondit le colonel, et, si nous sommes menacés d'un débarquement, faire sauter les navires de Herr Schultze avec nos torpilles. >> Sur cette proposition, le docteur Sarrasin offrit d'appeler en conseil les chimistes les plus distingués, ainsi que les officiers d'artillerie les plus expérimentés, et de leur confier le soin d'examiner les projets que le colonel Hendon avait à leur soumettre.

Question du numéro 1 :

<< Quelle est la somme nécessaire pour commencer immédiatement les travaux de défense ?

-- Il faudrait pouvoir disposer de quinze à vingt millions de dollars. >>

Le numéro 4 : << Je propose de convoquer immédiatement l'assemblée plénière des citoyens. >>

Le président Sarrasin : << Je mets aux voix la proposition. >>

Deux coups de timbre, frappés dans chaque téléphone, annoncèrent qu'elle était adoptée à l'unanimité.

Il était huit heures et demie. Le Conseil civique n'avait pas duré dix- huit minutes et n'avait dérangé personne.

L'assemblée populaire fut convoquée par un moyen aussi simple et presque aussi expéditif. A peine le docteur Sarrasin eut-il communiqué le vote du Conseil à l'hôtel de ville, toujours par l'intermédiaire de son téléphone, qu'un carillon électrique se mit en mouvement au sommet de chacune des colonnes placées dans les deux cent quatre-vingts carrefours de la ville. Ces colonnes étaient surmontées de cadrans lumineux dont les aiguilles, mues par l'électricité, s'étaient aussitôt arrêtées sur huit heures et demie, -- heure de la convocation.

Tous les habitants, avertis à la fois par cet appel bruyant qui se prolongea pendant plus d'un quart d'heure, s'empressèrent de sortir ou de lever la tête vers le cadran le plus voisin, et, constatant qu'un devoir national les appelait à la halle municipale, ils s'empressèrent de s'y rendre.

A l'heure dite, c'est-à-dire en moins de quarante-cinq minutes, l'assemblée était au complet. Le docteur Sarrasin se trouvait déjà à la place d'honneur, entouré de tout le Conseil. Le colonel Hendon attendait, au pied de la tribune, que la parole lui fût donnée.

La plupart des citoyens savaient déjà la nouvelle qui motivait le meeting. En effet, la discussion du Conseil civique, automatiquement sténographiée par le téléphone de l'hôtel de ville, avait été immédiatement envoyée aux journaux, qui en avaient fait l'objet d'une édition spéciale, placardée sous forme d'affiches.

La halle municipale était une immense nef à toit de verre, où l'air circulait librement, et dans laquelle la lumière tombait à flots d'un cordon de gaz qui dessinait les arêtes de la voûte.

La foule était debout, calme, peu bruyante. Les visages étaient gais. La plénitude de la santé, l'habitude d'une vie pleine et régulière, la conscience de sa propre force mettaient chacun au-dessus de toute émotion désordonnée d'alarme ou de colère.

A peine le président eut-il touché la sonnette, à huit heures et demie précises, qu'un silence profond s'établit.

Le colonel monta à la tribune.

Là, dans une langue sobre et forte, sans ornements inutiles et prétentions oratoires -- la langue des gens qui, sachant ce qu'ils disent, énoncent clairement les choses parce qu'ils les comprennent bien --, le colonel Hendon raconta la haine invétérée de Herr Schultze contre la France, contre Sarrasin et son oeuvre, les préparatifs formidables qu'annonçait le New York Herald, destinés à détruire France-Ville et ses habitants.

<< C'était à eux de choisir le parti qu'ils croyaient le meilleur à prendre, poursuivit-il. Bien des gens sans courage et sans patriotisme aimeraient peut-être mieux céder le terrain, et laisser les agresseurs s'emparer de la patrie nouvelle. Mais le colonel était sûr d'avance que des propositions si pusillanimes ne trouveraient pas d'écho parmi ses concitoyens. Les hommes qui avaient su comprendre la grandeur du but poursuivi par les fondateurs de la cité modèle, les hommes qui avaient su en accepter les lois, étaient nécessairement des gens de coeur et d'intelligence.