Jules Verne

A un clou était pendu le sac de toile de Carl, et dans un petit coin, à côté d'une étrille, son livre d'arithmétique.

Marcel fit aussitôt remarquer que sa lanterne n'était plus là, nouvelle preuve que l'enfant devait être dans la mine.

<< Il peut avoir été pris dans un éboulement, dit le contremaître, mais c'est peu probable ! Qu'aurait-il été faire dans les galeries d'exploitation, un dimanche ?

-- Oh ! peut-être a-t-il été chercher des insectes avant de sortir ! répondit le gardien. C'est une vraie passion chez lui ! >>

Le garçon de l'écurie, qui arriva sur ces entrefaites, confirma cette supposition. Il avait vu Carl partir avant sept heures avec sa lanterne.

Il ne restait donc plus qu'à commencer des recherches régulières. On appela à coups de sifflet les autres gardiens, on se partagea la besogne sur un grand plan de la mine, et chacun, muni de sa lampe, commença l'exploration des galeries de second et de troisième ordre qui lui avaient été dévolues.

En deux heures, toutes les régions de la houillère avaient été passées en revue, et les sept hommes se retrouvaient au rond-point. Nulle part, il n'y avait la moindre trace d'éboulement, mais nulle part non plus la moindre trace de Carl. Le contremaître, peut-être influencé par un appétit grandissant, inclinait vers l'opinion que l'enfant pouvait avoir passé inaperçu et se trouver tout simplement à la maison ; mais Marcel, convaincu du contraire, insista pour faire de nouvelles recherches.

<< Qu'est-ce que cela ? dit-il en montrant sur le plan une région pointillée, qui ressemblait, au milieu de la précision des détails avoisinants, à ces _terrae ignotae_ que les géographes marquent aux confins des continents arctiques.

-- C'est la zone provisoirement abandonnée, à cause de l'amincissement de la couche exploitable, répondit le contremaître.

-- Il y a une zone abandonnée ?... Alors c'est là qu'il faut chercher ! >> reprit Marcel avec une autorité que les autres hommes subirent.

Ils ne tardèrent pas à atteindre l'orifice de galeries qui devaient, en effet, à en juger par l'aspect gluant et moisi de leurs parois, avoir été délaissées depuis plusieurs années. Ils les suivaient déjà depuis quelque temps sans rien découvrir de suspect, lorsque Marcel, les arrêtant, leur dit :

<< Est-ce que vous ne vous sentez pas alourdis et pris de maux de tête ?

-- Tiens ! c'est vrai ! répondirent ses compagnons.

-- Pour moi, reprit Marcel, il y a un instant que je me sens à demi étourdi. Il y a sûrement ici de l'acide carbonique !... Voulez-vous me permettre d'enflammer une allumette ? demanda-t-il au contremaître.

-- Allumez, mon garçon, ne vous gênez pas. >>

Marcel tira de sa poche une petite boîte de fumeur, frotta une allumette, et, se baissant, approcha de terre la petite flamme. Elle s'éteignit aussitôt.

<< J'en étais sûr... dit-il. Le gaz, étant plus lourd que l'air, se maintient au ras du sol... Il ne faut pas rester ici -- je parle de ceux qui n'ont pas d'appareils Galibert. Si vous voulez, maître, nous poursuivrons seuls la recherche. >>

Les choses ainsi convenues, Marcel et le contremaître prirent chacun entre leurs dents l'embouchure de leur caisse à air, placèrent la pince sur leurs narines et s'enfoncèrent dans une succession de vieilles galeries.

Un quart d'heure plus tard, ils en ressortaient pour renouveler l'air des réservoirs ; puis, cette opération accomplie, ils repartaient.

A la troisième reprise, leurs efforts furent enfin couronnés de succès. Une petite lueur bleuâtre, celle d'une lampe électrique, se montra au loin dans l'ombre. Ils y coururent...

Au pied de la muraille humide, gisait, immobile et déjà froid, le pauvre petit Carl. Ses lèvres bleues, sa face injectée, son pouls muet, disaient, avec son attitude, ce qui s'était passé.

Il avait voulu ramasser quelque chose à terre, il s'était baissé et avait été littéralement noyé dans le gaz acide carbonique.

Tous les efforts furent inutiles pour le rappeler à la vie. La mort remontait déjà à quatre ou cinq heures.