Jules Verne

Retenue de distance en distance par de solides crampons scellés dans le bâtiment, une tige de fer venue du toit--la chaîne du paratonnerre selon toute vraisemblance--passait à proximité de sa fenêtre, pour aller finalement s'enfoncer dans le sol. Cette tige de fer eût rendu la descente assez facile, si l'on avait pu arriver jusqu'à elle.

Or, ceci n'était peut-être pas irréalisable. A la hauteur du carrelage de sa cellule, une sorte de bandeau, motivé par la décoration de l'édifice, courait le long du mur en faisant une saillie de vingt ou vingt-cinq centimètres. Peut-être, avec du sang-froid et de l'énergie, n'eût-il pas été impossible de s'y tenir debout, et d'atteindre ainsi la chaîne du paratonnerre.

Malheureusement, quand bien même on eût été capable d'une aussi folle audace, la muraille extérieure n'en fût pas moins, demeurée infranchissable. Prisonnier dans une cellule ou dans le chemin de ronde, c'était toujours être prisonnier.

Serge Ladko, en examinant cette muraille avec plus de soin qu'il ne l'avait fait jusqu'alors, observa que la partie supérieure, à peu de distance au-dessous du chaperon, en était décorée intérieurement et extérieurement par une série de bossages, formés de moellons carrés à demi encastrés dans le reste de la maçonnerie. Un long moment Serge Ladko contempla cet ornement architectural, puis, se laissant glisser sur l'appui de la fenêtre, il réintégra sa cellule, et se hâta de faire disparaître toute trace compromettante.

Son parti était pris. Le moyen d'être libre envers et contre tous, il l'avait trouvé. Quelque risqué qu'il fût, ce moyen pouvait, devait réussir. Au surplus, mieux valait la mort que la continuation de pareilles angoisses.

Patiemment, il attendit le passage de la seconde ronde. Assuré dès lors d'une nouvelle période de tranquillité, il se mit en devoir d'achever ses préparatifs. De ses draps, il fit, à l'aide de ce qui subsistait de son couteau, une cinquantaine de bandes de quelques centimètres de largeur. Afin que l'attention des gardiens ne fût pas attirée, il eut soin de réserver une quantité de toile suffisante pour que sa couchette gardât son aspect extérieur. Quant au reste, nul n'aurait évidemment l'idée de venir soulever la couverture.

Les bandes découpées, il les accoupla quatre par quatre sous forme d'une tresse, dans laquelle les brins, se chevauchant l'un l'autre, s'allongeaient d'une nouvelle bande lorsqu'ils étaient proches de leur fin. Une journée fut consacrée à ce travail. Enfin, le 1er octobre, un peu avant midi, Serge Ladko eut en sa possession une corde solide, longue de quatorze à quinze mètres, qu'il dissimula soigneusement sous sa couchette.

Tout étant prêt, il résolut que l'évasion aurait lieu le soir même, à neuf heures.

Cette dernière journée, Serge Ladko l'occupa à examiner les plus petits détails de son entreprise, à en calculer les chances et les dangers. Quelle en serait l'issue: la liberté ou la mort? Un avenir prochain en déciderait. Dans tous les cas, il la tenterait.

Toutefois, avant que l'instant d'agir sonnât, le sort lui réservait une dernière épreuve. Il était près de trois heures de l'après-midi, quand les verrous de sa porte furent tirés à grand bruit. Que lui voulait-on? S'agissait-il encore d'un interrogatoire de M. Izar Rona? L'heure à laquelle il convoquait d'ordinaire le prisonnier était passée cependant.

Non, il n'était pas question de se rendre à une convocation du juge. Par la porte ouverte, Serge Ladko aperçut dans le couloir, outre l'un de ses gardiens habituels, un groupe de trois personnes qui lui étaient inconnues. L'une de ces personnes était une femme, une jeune femme de vingt ans à peine, dont le visage exprimait la douceur et la bonté. Des deux hommes qui l'accompagnaient, l'un était évidemment son mari. Le langage et l'attitude du gardien permettaient de reconnaître dans l'autre le directeur même de la prison.

Il s'agissait évidemment d'une visite. A en juger par la déférence respectueuse qui leur était témoignée, les visiteurs étaient gens de marque, peut-être quelque couple princier en voyage, auprès duquel le directeur jouait le rôle de cicérone.