Jules Verne

La voûte céleste brille d'un éclat particulier. On aperçoit, à une distance qu'on ne peut apprécier, la lanterne vacillante des guides qui font la route, et le lugubre silence de la nuit n'est troublé que par le bruit sec et éloigné de la hache taillant des pas dans la glace.

On gravit lentement et avec précaution la première rampe, en se dirigeant vers la base du dôme du Goûter. Au bout de deux heures d'une ascension pénible, on arrive au premier plateau, nommé Petit-Plateau, situé au pied du dôme du Goûter, à une hauteur de 3,650 mètres. Après quelques minutes de repos, on reprend sa marche en inclinant à gauche et en se dirigeant vers la côte qui conduit au Grand-Plateau.

Mais déjà notre caravane n'est plus aussi nombreuse. M. N..., avec ses guides, s'est détaché; la fatigue qu'il éprouve l'oblige à prendre un peu plus de repos.

Vers quatre heures et demie, l'aube commença à blanchir l'horizon. Nous franchissions à ce moment la rampe qui conduit au Grand-Plateau, où nous arrivons sans encombre Nous étions à 3,900 mètres. Nous avions bien gagné notre déjeuner. Contre l'habitude, Levesque et moi, nous avions bon appétit. C'était bon signe. Nous nous installâmes donc sur la neige et nous fîmes un repas de circonstance. Nos guides, joyeux, considéraient notre succès comme assuré. Pour moi, je trouvais qu'ils allaient un peu vite en besogne.

Quelques instants plus tard, M. N... nous rejoignit. Nous insistâmes vivement pour qu'il prit quelque nourriture. Il refusa obstinément. Il éprouvait cette contraction de l'estomac si commune dans ces parages, et il était fort abattu.

Le Grand-Plateau mérite une description particulière. À droite s'élève le dôme du Goûter. En face de soi, le mont Blanc, qui le domine encore de 900 mètres. À gauche, les rochers Rouges et les monts Maudits. Ce cirque immense est partout d'une blancheur éblouissante. Il présente de tous côtés d'énormes crevasses. C'est dans l'une d'elles que furent engloutis, en 1820, trois des guides qui accompagnaient le docteur Hamel et le colonel Anderson. Depuis cette époque, en 1864, un autre guide, Ambroise Couttet, y a trouvé la mort.

Il faut traverser ce plateau avec de grandes précautions, car il y existe souvent des crevasses cachées par la neige. De plus, il est fréquemment balayé par les avalanches. Le 13 octobre 1866; un voyageur anglais et trois de ses guides furent ensevelis sous une montagne de glace tombée du mont Blanc. Après un travail des plus périlleux, on parvint à retrouver les corps des trois guides. On s'attendait à chaque instant à découvrir celui du voyageur, quand une nouvelle avalanche vint s'abattre sur la première et obligea les travailleurs à renoncer à leur recherche.

Trois routes s'offraient à nous. La route ordinaire, qui consiste à prendre tout à fait à gauche, sur la base des monts Maudits, une espèce de vallée appelée Porche ou Corridor, conduit par des pentes modérées au haut du premier escarpement des rochers Rouges.

La seconde, moins fréquentée, prend à droite par le dôme du Goûter et mène au sommet du mont Blanc par l'arête qui relie ces deux montagnes. Il faut pendant trois heures suivre un chemin vertigineux et escalader une tranche de glace vive assez difficile, nommée la Bosse-du-Dromadaire.

La troisième route consiste à monter directement au sommet du Corridor, en gravissant un mur de glace haut de 250 mètres, qui longe le premier escarpement des rochers Rouges.

Les guides ayant déclaré la première route impraticable en raison des crevasses récentes qui la barraient entièrement, il nous restait le choix entre les deux autres. Pour moi, j'opinais pour la deuxième, qui passe par la Bosse-du-Dromadaire; mais elle fut jugée trop dangereuse, et il fut décidé que nous attaquerions le mur de glace qui conduit au sommet du Corridor.

Quand une décision est prise, le mieux est de l'exécuter sans retard. Nous traversons donc le Grand-Plateau et nous arrivons au pied de cet obstacle vraiment effrayant.

Plus nous avançons, plus son inclinaison semble se rapprocher de la verticale.