L'ours les étreignait tous deux.
«À moi! à moi, Herming! put crier le second.
--À moi! Penellan!» s'écria Louis Cornbutte.
Des pas se firent entendre sur l'escalier. Penellan parut, arma son pistolet et le déchargea dans l'oreille de l'animal. Celui-ci poussa un rugissement. La douleur lui fit ouvrir un instant les pattes, et Louis Cornbutte, épuisé, glissa sans mouvement sur le pont; mais l'animal, les refermant avec force dans une suprême agonie, tomba en entraînant le misérable André Vasling, dont le cadavre fut broyé sous lui.
Penellan se précipita au secours de Louis Cornbutte. Aucune blessure grave ne mettait sa vie en danger, et le souffle seul lui avait manqué un moment.
«Marie!... dit-il en ouvrant les yeux.
--Sauvée! répondit le timonier. Herming est étendu là, avec un coup de poignard au ventre!
--Et ces ours?...
--Morts, Louis, morts comme nos ennemis! Mais on peut dire que, sans ces bêtes-là, nous étions perdus! Vraiment! ils sont venus à notre secours! Remercions donc la Providence!»
Louis Cornbutte et Penellan descendirent dans le logement, et Marie se précipita dans leurs bras.
XVI
CONCLUSION
Herming, mortellement blessé, avait été transporté sur un lit par Misonne et Turquiette, qui étaient parvenus à briser leurs liens. Ce misérable râlait déjà, et les deux marins s'occupèrent de Pierre Nouquet, dont la blessure n'offrit heureusement pas de gravité.
Mais un plus grand malheur devait frapper Louis Cornbutte. Son père ne donnait plus aucun signe de vie!
Était-il mort avec l'anxiété de voir son fils livré à ses ennemis? Avait-il succombé avant cette terrible scène? On ne sait. Mais le pauvre vieux marin, brisé par la maladie, avait cessé de vivre!
À ce coup inattendu, Louis Cornbutte et Marie tombèrent dans un désespoir profond, puis ils s'agenouillèrent près du lit et pleurèrent en priant pour l'âme de Jean Cornbutte.
Penellan, Misonne et Turquiette les laissèrent seuls dans cette chambre et remontèrent sur le pont. Les cadavres des trois ours furent tirés à l'avant. Penellan résolut de garder leur fourrure, qui devait être d'une grande utilité, mais il ne pensa pas un seul moment à manger leur chair. D'ailleurs, le nombre des hommes à nourrir était bien diminué maintenant. Les cadavres d'André Vasling, d'Aupic et de Jocki, jetés dans une fosse creusée sur la côte, furent bientôt rejoints par celui d'Herming. Le Norwégien mourut dans la nuit sans repentir ni remords, l'écume de la rage à la bouche.
Les trois marins réparèrent la tente, qui, crevée en plusieurs endroits, laissait la neige tomber sur le pont. La température était excessivement froide, et dura ainsi jusqu'au retour du soleil, qui ne reparut au-dessus de l'horizon que le 8 janvier.
Jean Cornbutte fut enseveli sur cette côte. Il avait quitté son pays pour retrouver son fils, et il était venu mourir sous ce climat affreux! Sa tombe fut creusée sur une hauteur, et les marins y plantèrent une simple croix de bois.
Depuis ce jour, Louis Cornbutte et ses compagnons passèrent encore par de cruelles épreuves; mais les citrons, qu'ils avaient retrouvés, leur rendirent la santé.
Gervique, Gradlin et Pierre Nouquet purent se lever, une quinzaine de jours après ces terribles événements, et prendre un peu d'exercice.
Bientôt, la chasse devint plus facile et plus abondante. Les oiseaux aquatiques revenaient en grand nombre. On tua souvent une sorte de canard sauvage, qui procura une nourriture excellente. Les chasseurs n'eurent à déplorer d'autre perte que celle de deux de leurs chiens, qu'ils perdirent dans une entreprise pour reconnaître, à vingt-cinq milles dans le sud, l'état de la plaine de glaces.
Le mois de février fût signalé par de violentes tempêtes et des neiges abondantes. La température moyenne fut encore de vingt-cinq degrés au-dessous de zéro, mais les hiverneurs n'en souffrirent pas, par comparaison. D'ailleurs, la vue du soleil, qui s'élevait de plus en plus au-dessus de l'horizon, les réjouissait, en leur annonçant la fin de leurs tourments.