«Nous avons été entraînés dans le nord-est, dit André Vasling, en s'orientant sur les étoiles, qui brillaient d'un éclat extraordinaire.
--Il n'y aurait pas de mal, répondit Penellan, si notre traîneau nous eût accompagnés!
--Le traîneau n'est plus là? s'écria André Vasling. Mais nous sommes perdus, alors!
--Cherchons,» répondit Penellan.
Ils tournèrent autour de la hutte, qui formait un bloc de plus de quinze pieds de hauteur. Une immense quantité de neige était tombée pendant toute la durée de la tempête, et le vent l'avait accumulée contre la seule élévation que présentât la plaine. Le bloc entier avait été entraîné par le vent, au milieu des glaçons brisés, à plus de vingt-cinq milles au nord-est, et les prisonniers avaient subi le sort de leur prison flottante. Le traîneau, supporté par un autre glaçon, avait dérivé d'un autre côté, sans doute, car on n'en apercevait aucune trace, et les chiens avaient dû succomber dans cette effroyable tempête.
André Vasling et Penellan sentirent se glisser Je désespoir dans leur âme. Ils n'osaient rentrer dans la maison de neige! Ils n'osaient annoncer cette fatale nouvelle à leurs compagnons d'infortune! Ils gravirent le bloc de glace même dans lequel se trouvait creusée la hutte et n'aperçurent rien que cette immensité blanche qui les entourait de toutes parts. Déjà le froid raidissait leurs membres, et l'humidité de leurs vêtements se transformait en glaçons qui pendaient autour d'eux.
Au moment où Penellan allait descendre le monticule, il jeta un coup d'oeil sur André Vasling. Il le vit tout à coup regarder avidement d'un côté, puis tressaillir et pâlir.
«Qu'avez-vous, monsieur Vasling? lui demanda-t-il.
--Ce n'est rien! répondit celui-ci. Descendons, et avisons à quitter au plus vite ces parages, que nous n'aurions jamais dû fouler!»
Mais, au lieu d'obéir, Penellan remonta et porta ses yeux du côté qui avait attiré l'attention du second. Un effet bien différent se produisit en lui, car il poussa un cri de joie et s'écria:
«Dieu soit béni!»
Une légère fumée s'élevait dans le nord-est. Il n'y avait pas à s'y tromper. Là respiraient des êtres animés. Les cris de joie de Penellan attirèrent ses compagnons, et tous purent se convaincre par leurs yeux que le timonier ne se trompait pas.
Aussitôt, sans s'inquiéter du manque de vivres, sans songer à la rigueur de la température, enveloppés dans leurs capuchons, tous s'avancèrent à grands pas vers l'endroit signalé.
La fumée s'élevait, dans le nord-est, et la petite troupe prit précipitamment cette direction. Le but à atteindre se trouvait à cinq ou six milles environ, et il devenait fort difficile de se diriger à coup sûr. La fumée avait disparu, et aucune élévation ne pouvait servir de point de repère, car la plaine de glace était entièrement unie.
Il importait, cependant, de ne pas dévier de la ligne droite.
«Puisque nous ne pouvons nous guider sur des objets éloignés, dit Jean Cornbutte, voici le moyen à employer: Penellan va marcher en avant, Vasling à vingt pas derrière lui, moi à vingt pas derrière Vasling. Je pourrai juger alors si Penellan ne s'écarte pas de la ligne droite.»
La marche durait ainsi depuis une demi-heure, quand Penellan s'arrêta soudain, prêtant l'oreille.
Le groupe de marins le rejoignit:
«N'avez-vous rien entendu? leur demanda-t-il.
--Rien, répondit Misonne.
--C'est singulier! fit Penellan. Il m'a semblé que des cris venaient de ce côté.
--Des cris? répondit la jeune fille. Nous serions donc bien près de notre but!
--Ce n'est pas une raison; répondit André Vasling. Sous ces latitudes élevées et par ces grands froids, le son porte à des distances extraordinaires.
--Quoi qu'il en soit, dit Jean Cornbutte, marchons, sous peine d'être gelés!
--Non! fit Penellan. Écoutez!»
Quelques sons faibles, mais perceptibles cependant, se faisaient entendre. Ces cris paraissaient des cris de douleur et d'angoisse. Ils se renouvelèrent deux fois. On eût dit que quelqu'un appelait au secours. Puis tout retomba dans le silence.