Jean Cornbutte ne put retenir un cri, qui réveilla Misonne et André Vasling. Un juron éclata entre les dents de ce dernier, dont les traits se contractèrent.
En ce moment, une fumée plus épaisse que jamais reflua à l'intérieur, car elle ne pouvait trouver aucune issue.
«Malédiction! s'écria Misonne. Le tuyau du poêle est bouché par la glace!»
Penellan reprit son bâton et démonta le poêle, après avoir jeté de la neige sur les tisons pour les éteindre, ce qui produisit une fumée telle, que l'on pouvait à peine apercevoir la lueur de la lampe; puis il essaya, avec son bâton, de débarrasser l'orifice, mais il ne rencontra partout qu'un roc de glace!
Il ne fallait plus attendre qu'une fin affreuse, précédée d'une agonie terrible! La fumée, s'introduisant dans la gorge des malheureux, y causait une douleur insoutenable, et l'air même ne devait pas tarder à leur manquer!
Marie se leva alors, et sa présence, qui désespérait Jean Cornbutte, rendit quelque courage à Ponellan. Le timonier se dit que cette pauvre enfant ne pouvait être destinée à une mort aussi horrible!
«Eh bien! dit la jeune fille, vous avez donc fait trop de feu? La chambre est pleine de fumée!
--Oui ... oui ... répondit le timonier en balbutiant.
--On le voit bien, reprit Marie, car il ne fait pas froid, et il y a longtemps même que nous n'avons éprouvé autant de chaleur!»
Personne n'osa lui apprendre la vérité.
«Voyons, Marie, dit Penellan, en brusquant les choses, aide-nous à préparer le déjeuner. Il fait trop froid pour sortir. Voici le réchaud, voici l'esprit-de-vin, voici le café.--Allons, vous autres, un peu de pemmican d'abord, puisque ce maudit temps nous empêche de chasser!»
Ces paroles ranimèrent ses compagnons.
«Mangeons d'abord, ajouta Penellan, et nous verrons ensuite à sortir d'ici!»
Penellan joignit l'exemple au conseil et dévora sa portion. Ses compagnons l'imitèrent et burent ensuite une tasse de café brûlant, ce qui leur remit un peu de courage au coeur; puis, Jean Cornbutte décida, avec une grande énergie, que l'on allait tenter immédiatement les moyens de sauvetage.
Ce fut alors qu'André Vasling fit cette réflexion:
«Si la tempête dure encore, ce qui est probable, il faut que nous soyons ensevelis à dix pieds sous la glace, car on n'entend plus aucun bruit au dehors!»
Penellan regarda Marie, qui comprit la vérité, mais ne trembla pas.
Penellan fit d'abord rougir à la flamme de l'esprit-de-vin le bout de son bâton ferré, qu'il introduisit successivement dans les quatre murailles de glace, mais il ne trouva d'issue dans aucune. Jean Cornbutte résolut alors de creuser une ouverture dans la porte même. La glace était tellement dure que les coutelas l'entamaient difficilement. Les morceaux que l'on parvenait à extraire encombrèrent bientôt la hutte. Au bout de deux heures de ce travail pénible, la galerie creusée n'avait pas trois pieds de profondeur.
Il fallut donc imaginer un moyen plus rapide et qui fût moins susceptible d'ébranler la maison, car plus on avançait, plus la glace, devenant dure, nécessitait de violents efforts pour être entamée. Penellan eut l'idée de se servir du réchaud à esprit-de-vin pour fondre la glace dans la direction voulue. C'était un moyen hasardeux, car si l'emprisonnement venait à se prolonger, cet esprit-de-vin, dont les marins n'avaient qu'une petite quantité, leur ferait défaut au moment de préparer le repas. Néanmoins, ce projet obtint l'assentiment de tous, et il fut mis à exécution. On creusa préalablement un trou de trois pieds de profondeur sur un pied de diamètre pour recueillir l'eau qui proviendrait de la fonte de la glace, et l'on n'eut pas à se repentir de cette précaution, car l'eau suinta bientôt sous l'action du feu, que Penellan promenait à travers la masse de neige.
L'ouverture se creusa peu à peu, mais on ne pouvait continuer longtemps un tel genre de travail, car l'eau, se répandant sur les vêtements, les perçait de part en part. Penellan fut obligé de cesser au bout d'un quart d'heure et de retirer le réchaud pour se sécher lui-même.