--Qu'est-ce que ça me fait? répondit Jean Cornbutte. Il s'agit bien du gouvernement!
--Sans doute, monsieur Clerbaut, dit Marie, il n'y a qu'une chose qui nous occupe: c'est le retour de Louis.
--Je ne disconviens pas que..., répondit le compère. Mais enfin ces fournitures....
--Et vous serez de la noce, répliqua Jean Cornbutte, qui interrompit le négociant et lui serra la main de façon à la briser.
--Ces fournitures de bois....
--Et avec tous nos amis de terre et nos amis de mer, Clerbaut. J'ai déjà prévenu mon monde, et j'inviterai tout l'équipage du brick!
--Et nous irons l'attendre sur l'estacade? demanda Marie.
--Je te crois bien, répondit Jean Cornbutte. Nous défilerons tous deux par deux, violons en tête!»
Les invités de Jean Cornbutte arrivèrent sans tarder. Bien qu'il fût de grand matin, pas un ne manqua à l'appel. Tous félicitèrent à l'envi le brave marin qu'ils aimaient. Pendant ce temps, Marie, agenouillée, transformait devant Dieu ses prières en remercîments. Elle rentra bientôt, belle et parée, dans la salle commune, et elle eut la joue embrassée par toutes les commères, la main vigoureusement serrée par tous les hommes; puis, Jean Cornbutte donna le signal du départ.
Ce fut un spectacle curieux de voir cette joyeuse troupe prendre le chemin de la mer au lever du soleil. La nouvelle de l'arrivée du brick avait circulé dans le port, et bien des têtes en bonnets de nuit apparurent aux fenêtres et aux portes entrebâillées. De chaque côté arrivait un honnête compliment ou un salut flatteur.
La noce atteignit l'estacade au milieu d'un concert de louanges et de bénédictions. Le temps s'était fait magnifique, et le soleil semblait se mettre de la partie. Un joli vent du nord faisait écumer les lames, et quelques chaloupes de pêcheurs, orientées au plus près pour sortir du port, rayaient la mer de leur rapide sillage entre les estacades.
Les deux jetées de Dunkerque qui prolongent le quai du port, s'avancent loin dans la mer. Les gens de la noce occupaient toute la largeur de la jetée du nord, et ils atteignirent bientôt une petite maisonnette située à son extrémité, où veillait le maître du port.
Le brick de Jean Cornbutte était devenu de plus en plus visible. Le vent fraîchissait, et _la Jeune-Hardie_ courait grand largue sous ses huniers, sa misaine, sa brigantine, ses perroquets et ses cacatois. La joie devait évidemment régner à bord comme à terre. Jean Cornbutte, une longue-vue à la main, répondait gaillardement aux questions de ses amis.
«Voilà bien mon beau brick! s'écriait-il, propre et rangé comme s'il appareillait de Dunkerque! Pas une avarie! Pas un cordage de moins!
--Voyez-vous votre fils le capitaine? lui demandait-on.
--Non, pas encore. Ah! c'est qu'il est à son affaire!
--Pourquoi ne hisse-t-il pas son pavillon? demanda Clerbaut.
--Je ne sais guère, mon vieil ami, mais il a une raison sans doute.
--Votre longue-vue, mon oncle, dit Marie en lui arrachant l'instrument des mains, je veux être la première à l'apercevoir!
--Mais c'est mon fils, mademoiselle!
--Voilà trente ans qu'il est votre fils, répondit en riant la jeune fille, et il n'y que deux ans qu'il est mon fiancé!»
_La Jeune-Hardie_ était entièrement visible. Déjà l'équipage faisait ses préparatifs de mouillage. Les voiles hautes avaient été carguées. On pouvait reconnaître les matelots qui s'élançaient dans les agrès. Mais ni Marie, ni Jean Cornbutte n'avaient encore pu saluer de la main le capitaine du brick.
«Ma foi, voici le second, André Vasling! s'écria Clerbaut.
--Voici Fidèle Misonne, le charpentier, répondit un des assistants.
--Et notre ami Penellan!» dit un autre, en faisant un signe au marin ainsi nommé.
_La Jeune-Hardie_ ne se trouvait plus qu'à trois encâblures du port, lorsqu'un pavillon noir monta à la corne de brigantine ... Il y avait deuil à bord!
Un sentiment de terreur courut dans tous les esprits et dans le coeur de la jeune fiancée.
Le brick arrivait tristement au port, et un silence glacial régnait sur son pont.