«Ne craignez rien, me dit l'inconnu. Nous avons trois mille cinq cents toises d'air respirable. Au surplus, ne vous préoccupez pas de ce que je fais.»
Je voulus me lever, mais une main vigoureuse me cloua sur mon banc.
«Votre nom? demandai-je.
--Mon nom? Que vous importe?
--Je vous demande votre nom!
--Je me nomme Érostrate ou Empédocle, à votre choix.»
Cette réponse n'était rien moins que rassurante.
L'inconnu, d'ailleurs, parlait avec un sang-froid si singulier, que je me demandai, non sans inquiétude, à qui j'avais affaire.
«Monsieur, continua-t-il, on n'a rien imaginé de nouveau depuis le physicien Charles. Quatre mois après la découverte des aérostats, cet habile homme avait inventé la soupape, qui laisse échapper le gaz quand le ballon est trop plein, ou que l'on veut descendre; la nacelle, qui facilite les manoeuvres de la machine; le filet, qui contient l'enveloppe du ballon et répartit la charge sur toute sa surface; le lest, qui permet de monter et de choisir le lieu d'atterrage; l'enduit de caoutchouc, qui rend le tissu imperméable; le baromètre, qui indique la hauteur atteinte. Enfin, Charles employait l'hydrogène, qui, quatorze fois moins lourd que l'air, laisse parvenir aux couches atmosphériques les plus hautes et n'expose pas aux dangers d'une combustion aérienne. Le 1er décembre 1783, trois cent mille spectateurs s'écrasaient autour des Tuileries. Charles s'enleva, et les soldats lui présentèrent les armes. Il fit neuf lieues en l'air, conduisant son ballon avec une habileté que n'ont pas dépassée les aéronautes actuels. Le roi le dota d'une pension de deux mille livres, car alors on encourageait les inventions nouvelles!»
L'inconnu me parut alors en proie à une certaine agitation.
«Moi, monsieur, reprit-il, j'ai étudié et je me suis convaincu que les premiers aéronautes dirigeaient leurs ballons. Sans parler de Blanchard, dont les assertions peuvent être douteuses, Guyton-Morveaux, à l'aide de rames et de gouvernail, imprima à sa machine des mouvements sensibles et une direction marquée. Dernièrement, à Paris, un horloger, M. Julien, a fait à l'Hippodrome de convaincantes expériences, car, grâce à un mécanisme particulier, son appareil aérien, de forme oblongue, s'est manifestement dirigé contre le vent. M. Petin a imaginé de juxtaposer quatre ballons à hydrogène, et au moyen de voiles disposées horizontalement et repliées en partie, il espère obtenir une rupture d'équilibre qui, inclinant l'appareil, lui imprimera une marche oblique. On parle bien des moteurs destinés à surmonter la résistance des courants, l'hélice par exemple; mais l'hélice, se mouvant dans un milieu mobile, ne donnera aucun résultat. Moi, monsieur, moi j'ai découvert le seul moyen de diriger les ballons, et pas une académie n'est venue à mon secours, pas une ville n'a rempli mes listes de souscription, pas un gouvernement n'a voulu m'entendre! C'est infâme!»
L'inconnu se débattait en gesticulant, et la nacelle éprouvait de violentes oscillations. J'eus beaucoup de peine à le contenir.
Cependant, le ballon avait rencontré un courant plus rapide, et nous avancions dans le sud, à quinze cents mètres de hauteur.
«Voici Darmstadt, me dit mon compagnon, en se penchant par-dessus la nacelle. Apercevez-vous son château? Pas distinctement, n'est-ce pas! Que voulez vous? Cette chaleur d'orage fait osciller la forme des objets, et il faut un oeil habile pour reconnaître les localités!
--Vous êtes certain que c'est Darmstadt? demandai-je.
--Sans doute, et nous sommes à six lieues de Francfort.
--Alors il faut descendre!
--Descendre! Vous ne prétendez pas descendre sur les clochers, dit l'inconnu en ricanant.
--Non, mais aux environs de la ville.
--Eh bien! évitons les clochers!»
En parlant ainsi, mon compagnon saisit des sacs de lest. Je me précipitai sur lui; mais d'une main il me terrassa, et le ballon délesté atteignit deux mille mètres.
«Restez calme, dit-il, et n'oubliez pas que Brioschi, Biot, Gay-Lussac, Bixio et Barral sont allés à de plus grandes hauteurs faire leurs expériences scientifiques.